mercredi 8 avril 2020

Un roman d'une obscure-clarté : Comme un feu furieux de Marie Chartres


Auteur : Marie Chartres

Maison d'édition : L'Ecole des Loisirs 

Collection : Medium Max

Année de sortie : 2014

Nombre de pages : 165 pages 





Tout au nord de la Sibérie, au bord de l'Arctique, se trouve Tiksi, une ville dont la moitié des habitants sont partis. Que reste-t-il à présent ? Des maisons vides, la mer de glace, les jeux dans la neige, la magie des aurores boréales et de vieux hommes qui se souviennent de tout et parlent par énigmes.

Mais il y a aussi Lazar, l'enfant qui ne trouve pas le sommeil.

Et Gavriil, le poète qui ne parle plus.

Et puis il y a moi, leur soeur, Galya Bolotine, qui me débats avec ma silencieuse colère et mes rêveries océaniques. Moi qui voudrais comprendre ce qui se joue sous le ciel noir. Espérant le retour du brise-glace majestueux qui nous emporterait loin de cette étouffante immensité.





 L'Ecole des Loisirs a pour l'habitude d'innover et de mettre en avant différents styles littéraires dans ses abonnements scolaires mensuels (dont un classique par an !). Marie Chartres a beaucoup fait parler d'elle en 2017 avec cette oeuvre, dont la couverture est aux antipodes de ce que l'on peut trouver sur la 4ème de couverture (et dans le livre en général !). Bien que tombé dans les reliques de ma bibliothèque, ces dernières vacances furent l'occasion de m'y attaquer, pour un moment assez court, mais non pas des moins intenses. 




Le roman débute par une conversation pour le moins absurde entre Gayla, la grande soeur, et Lazar, le benjamin. Et immédiatement, le livre transporte. En une poignée de lignes, la romancière dévoile l'arrière-plan composant son récit : l'obscurité de Tiski, une petite ville glauque, enfoncée dans les landes gelées de Sibérie, au bord de l'Arctique. Un arrière-plan pesant, une atmophère oppressante et envahissante, qui touche l'esprit et le coeur. On se croirait précipité dans un jeu d'horreur, où le but est de survivre à ce mystérieux virus qui touchent les habitants de la ville. Un virus indescriptible, comme si la ville entrait dans les coeurs, et noircissait l'être entier. Et presque simultanément, on saisit tout l'enjeu du texte : 'Comme un feu furieux', le feu qui emplit les âmes et le coeur, le feu qu'il faut raviver et protéger, contre l'ennemi des personnages : Tiksi


"Tu ne peux pas survivre dans ce monde-ci. Tu ferais mieux de créer le tien."


L'histoire est construite grâce au passé. Le lecteur arrive alors que les protagonistes sont enfermés dans un quotidien malsain, dans le noir, toujours. Des ellipses sont proposés par la romancière, qui permettent aux lecteurs comme aux personnages d'évoluer dans le récit. On découvre ainsi plusieurs éléments de réponses quant à la famille de Gayla, la narratrice. L'intelligence du récit réside ici. Le lecteur, avide de questions, obtient des réponses. Marie Chartres n'est pas avare, et le but n'est d'ailleurs pas de laisser un suspens insoutenable quant au passé des personnages jusque dans les dernières pages du texte (ce qui n'aurait, à mon sens, aucun intérêt). Toutefois, très vite, on sent que l'enjeu est ailleurs. Avoir des réponses pour comprendre, se comprendre et comprendre les autres, c'est une chose. Les utiliser, c'en est une autre. Et c'est ce côté émancipateur qui m'a particulièrement touché. Cette lecture fût l'occasion de découvrir à quel point l'arrière-plan, le décor, le passé d'un personnage compte autant que ce qu'il est et paraît dans son présent


"Le Yamal était splendide dans la nuit de Tiksi, j'étais toujours aussi impressionnée."


Si Gayla, Lazar, Gavriil sont des versions évoluées d'eux-mêmes, ils le sont uniquement par défaut, et dans l'ignorance totale dans ce qu'ils auraient pu être si le feu avait brûlé et s'était consumé en eux. C'est un peu le sous-entendu qui découle de mes notes, et de ma mémoire, quelques temps après l'intensité de la lecture. Et, plus intéressant encore, est l'étude de nos pensées. En effet, pendant la première moitié de l'oeuvre, le lecteur est comme léthargique, envahi par Tiksi. Il devient habitant de la ville noire, et membre de la petite famille. Et c'est seulement au bout de ce temps donné qu'il se réveille, songeur, volontaire et décidé à se sortir de... Ca. Se connaitre permet aussi de reconnaitre ce qui est bon ou mauvais, et c'est aussi ce dont j'ai apprécié faire l'expérience aux côtés de Gayla. La jeune fille, narratrice du texte, est aussi celle que l'on connaît le mieux. La romancière a su en peu de temps lui offrir un peu de consistance, assez en tout cas pour permettre un certain attachement, et se dire proche d'elle aussi. Sans pour autant m'être identifié ou même avoir eu un coup de coeur pour elle, faire l'objet de ce réveil et de cet éveil à ses côtés fût sans aucun doute un bon moment. 


"J'ai fermé les yeux jusqu'à ce que le ciel déverse sa lumière."


Enfin, l'écriture est peut-être le point qui a su définitivement me convaincre de recommander cette oeuvre. Marie Chartres, même si j'ignore jusqu'à quel point elle s'est renseignée  sur Tiksi (voyage ? Textes ? Biographie ? Histoire ?), a su rendre tellement épais, dure, réelle l'obscurité et la dureté de la cité, que c'est sans doute le point que je retiens le plus de ma lecture, plusieurs semaines après la fin. L'ambiance était tellement puissante qu'on quittait réellement la pièce où l'on avait débuté la lecture. C'est avant tout ce qui m'a plu. De plus, la romancière sait parfaitement doser son intrigue, avec les révélations, les décisions et les retournements qui arrivent au bon moment, pile pour que l'on ne se laisse pas absorber définitivement par l'obscurité. 


"J'ai pensé que dans la vie la lumière se vexe quand on ne la caresse pas, quand on la désire plus."






Amateurs, amatrices d'une lecture d'un genre nouveau, vous ne serez pas déçus par ce roman, obscur, prenant, d'un genre tout nouveau pour ma part. Les personnages attachants seront vous convaincre autant que le scénario, qui ne manque pas à l'appel, fort heureusement. Le plus impressionnant reste ce cadre terrifiant et hypnotisant, le point fort de ce texte, à lire  à partir de 14 ans

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