mardi 14 avril 2020

Un récit de vie poétique : Le ciel par-dessus le toit de Natacha Appanah

Auteur : Natacha Appanah 

Maison d'édition : Gallimard

Collection : Collection NRF

Nombre de pages : 128 pages 

Année de sortie : 2019





«Sa mère et sa soeur savent que Loup dort en prison, même si le mot juste c'est maison d'arrêt mais qu'est-ce que ça peut faire les mots justes quand il y a des barreaux aux fenêtres, une porte en métal avec oeilleton et toutes ces choses qui ne se trouvent qu'entre les murs. Elles imaginent ce que c'est que de dormir en taule à dix-sept ans mais personne, vraiment, ne peut imaginer les soirs dans ces endroits-là.»


 


La poursuite de mon aventure au sein de la sélection du Goncourt s'est faite avec ce court texte de Natacha Appanah, romancière au nom évocateur. Le titre, référence direct à un poème que Verlaine a écrit pendant son emprisonnement, a su m'intriguer et me diriger vers cette histoire intense, atypique, violente, poétique. 




"Bon sang, comment faut-il la mener cette putain de vie pour qu'elle ne morde pas au quotidien ?"


Natacha Appanah offre un texte subtile, qu'il faut savoir savourer et apprécier sur le long terme. De nombreux thèmes y sont abordés, d'une façon plus ou moins surprenante. On se retrouve tantôt en prison, enfin en maison d'arrêt, avec le personnage principal de cette histoire, le poignant Loup, tantôt au sein de sa famille, avec sa mère Phénix, et sa soeur, Paloma. Le récit est haché, peuplé par les retours en arrière, démonstrations caractériels des personnages, fouillés jusqu'au plus profond d'eux-mêmes par les épreuves et les démonstrations de la vie. Poétique jusque dans les prénoms, la romancière offre ici un grand tour de force. Qu'il faut savoir apprécier à sa juste valeur. Ce qui le rend plus grand encore. 


"Cette nuit fond sur le jour en laissant des trainées roses, mauves et oranges. Ce ciel, par-dessus les toits, ressemble à un morceau de soie chatoyant."


Pourtant, l'oeuvre était loin de tutoyer les sommets, du moins au début. Si le manque d'entrain laisse place au bout d'une dizaine de pages à une lecture fluide du récit, la fin laisse un goût doux-amer, taillé par une unique question : " Tout ça pour ça ? Pourquoi ?" Des questions insignifiantes, pour une lecture en apparences vite oubliable. Pourtant, quelques jours, quelques semaines après, de discussions en réflexions, le livre dépasse le toit auquel il s'était arrêté pour prendre place dans le ciel. C'est une sensation des plus agréables, que de sentir une histoire monter petit à petit dans l'esprit. Loup, Phénix, Paloma, leur histoire. Si belle, si dure dans sa réalité, si belle dans sa relation. Natacha Appanah aborde en moins de 150 pages des thèmes sociétales actuels, difficiles, parfois tabous dans une société comme la nôtre, encore trop superficielle : l'emprisonnement, les relations familiales, l'éducation d'une mère envers ses enfants, des parents envers leur fille. Le tout travaillé sous un angle original ; l'évolution des personnages se fait en parallèle, on le comprend petit à petit. On découvre petit à petit cette femme, Phénix, que la vie n'a pas épargné, dans le présent comme dans le futur. Le travail d'écriture et d'immersion d'Appanah paie, au fur et à mesure. Le lecteur se trouve plongé, membre de la famille, ami le plus proche d'un Loup solitaire, d'une Phénix étincelante, mais dont la lumière brûle parfois ceux qu'elle aime. Le texte devient un petit cocon dans lequel on se meut, qui amortir les chocs, aussi. Et le tout se prolonge, bien après la lecture. L'oeuvre en ressort puissante, beaucoup plus quand lorsque l'on y entre. 


"Le coeur est à nettoyer chaque jour, après chaque épreuve."


Figures centrales du texte, les trois protagonistes se partagent la narration. L'auteur offre tantôt des ellipses sur le passé de Phénix, tantôt sur la vie de la petite famille (et des retours à lourd présent lié à l'enfermement de Loup, évidemment). L'émotion entoure ces moments de vie si simples et si intenses. Loup est le personnage principal de l'oeuvre, c'est aussi le plus mystérieux. En effet, comment le comprendre ? Dans son monde, très peu enclin à montrer ses émotions, il en provoque pourtant tellement autour de lui, de près comme de loin. Est-il malade ? Ou simplement simple d'esprit ? Rien de tout ça. Loup, c'est un mixe d'un peu tout ce qu'il côtoie, comme une éponge qui se gorge de l'eau de sa vie, sans jamais la troubler. Spectateur. Solitaire comme le laisse présager son prénom, qui paradoxalement semble lui aller si mal... Là est toute la subtilité de ces personnages, ce qui les rend aussi digne d’intérêt. Appanah, lors d'une rencontre parisienne à l'occasion du prix, résume d'ailleurs si bien la mère de Loup, Phénix : "Phénix ? C'est un personnage éclatant, mais qui ne brille pas.".  Tout le roman est empli par ces petites couches de lecture, ces petites doubles lectures légères, qui font la différence sur le long terme. Ce qui produit aussi cet effet de durée, de montée en puissance, aussi. 


"Qui dit que les choses sont écrites d'avance, qui dit que nous sommes des pantins et qui peut savoir comment la vie va se dérouler ?"


L'ultime subtilité, l'ultime paradoxe, c'est cette plume majestueuse comme un oiseau légendaire, ou un loup au pelage brillant. C'est avec cette écriture que le lecteur finit sans doute par entrer sans mal dans le texte. Pour aborder cette réalité très difficile, Natacha Appanah emploie un style fluide, des plus poétiques, qui coule tout seul sur le papier. Elle instaure dès les premières pages une ambiance particulière, qui ne disparait lors des ellipses qui se détachent de la réalité, bien au contraire. Elle prolonge ainsi la subtilité instaurée par le scénario et la construction des personnages, complétant ainsi un texte très riche, une lecture marquante car indéfinissable sur beaucoup de points : Mais que viens-je de lire ?







Un texte qui met du temps à démarrer, mais qui, sublimé par une construction scénaristique riche et intense, des personnages uniques et subtils, et une plume poétique à souhait, transmet aux lecteurs des émotions nouvelles, qui se prolongent bien après la lecture. 'Le ciel par-dessus le toit', par les thèmes, par ce qu'il est, ce qu'il représente, est une oeuvre définitivement à part, qui ne laissera personne indifférent, positivement ou négativement. Avons-nous seulement à faire à un roman, à une longue nouvelle, ou à un long poème ? A une expérience, pour sûr, mais la question reste légitime.

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