lundi 17 avril 2017

L'atelier d'écriture n°263 de Leiloona : Hommage au grand Christian...

Le café est plongé dans l'ombre. Un silence de plomb s’est abattu dans la salle depuis la terrible annonce. On retient son souffle, certains pleurent. Christian s'en est allé. Le patron a lâché son plateau rempli de jus de fruit sur ses pieds. Une servante a poussé un petit cri de tristesse ou de surprise, difficile à dire. Tout le monde a tourné les yeux vers elle. Christiane. L'amour, la princesse de Christian comme il se plaisait à la surnommer. Ils s'étaient rencontrés ici, sous ce toit, à cette table là-bas, à côté du comptoir. Depuis, ils ne s'étaient jamais quittés. Une vie partagée à deux. Grâce à eux, on nommait même désormais cette table la table des amoureux. C'était là que s'asseyaient souvent les futurs amoureux en rencard. Christiane. Tout le monde la regarde. Alors au grand étonnement de tous, elle ne fait rien. Elle se tait. Car aucun mot, aucune syllabe, aucune douleur n’est capable d'exprimer ce qu'elle ressent. On ne peut décrire la perte d'une partie de soi. Alors elle se tait. Car elle lui avait promis. Ne pas pleurer. Des années en arrière, alors qu'ils étaient en vacances, au bord de l'océan, en Vendée, sur une petite plage calme, à l'ombre des arbres, ils s'étaient fait cette promesse folle. Ne pas pleurer la mort de l'autre. Pour l'un comme pour l'autre, c'était une promesse balancée comme ça, dans l'ivresse de l'amour. Ils avaient ri après cela. La mort. Ca leur paraissait tellement loin, à l'époque. Maintenant, elle avait frappée. Elle se souvient comme il avait été fier d'elle quand elle avait décroché ce travail de serveuse. Il l'observait parfois, du fond de la salle. Elle lui souriait même, quand elle l'apercevait, ses yeux s'illuminaient d'une telle joie. Lui, le jardinier toujours prêt à aider tout le monde. Toujours prêt à déconner le Christian. Un des bons potes du patron, un des meilleurs clients du bar. Ouais ils regardent tous Christiane, avec de la pitié dans les yeux, mais elle leur tourne le dos, parce que seule elle, parmi eux, ne fait pas semblant de souffrir. Elle se fout bien de leur pitié. Elle voudrait... elle voudrait juste Christian. Ses bras, sa chaleur, ses bisous, son rire... Alors qu'une larme menace de couler, le patron monte sur le comptoir, et d'un ton déterminé,l s’adresse aux personnes présentes " Demain, dès l'ouverture, je veux qu'on dresse tous une banderole à l'effigie de Christian sur la devanture de ce bar. De SON bar. Sa bière favorite sera gratuite demain. Je suis sûr que ça lui fera plaisir, de là ou il est..."


Ce texte a été écrit pour l'atelier d'écriture de Leiloona. La photo est de (c) Fred Henin.

samedi 15 avril 2017

Marquise de Joanne Richoux

Auteur : Joanne Richoux

Maison d'édition : Sarbacane

Collection : Exprim'

Nombre de pages : 232 pages

Année de sortie : 2017





Résumé : Un excentrique milliardaire, qui se fait appeler Le Marquis, a fondé une société secrète : les Voluptueuses. La rumeur prétend qu’il a fait construire une réplique du château de Versailles, quelque part sur une île privée au large de l’Écosse, et qu’une centaine de privilégiés y mènent une vie de rêve.
Charlotte et Billy sont prêts à tout pour quitter leur sordide village natal – même à tenter l’impossible.
Ils ont de la chance, cette année : le Marquis organise un casting sauvage pour intégrer de nouveaux membres aux Voluptueuses. Huit jeunes artistes, dont eux, rejoindront finalement l’île paradisiaque où s’ébat la communauté. Mais la vie de château leur réserve bien des surprises…

Introduction : Je tiens tout d'abord à remercier les éditions Sarbacane pour cet envoi !

Décrit comme novateur, pétillant, glamour, mêlant des ambiances du XVIIIème siècle et des temps modernes, il ne m'en fallait pas plus pour demander à recevoir le premier roman de Joanne Richoux, unE jeune auteure d'à peine 27 ans. Rajoutez à cela la couverture absolument sublime, et vous avez le combo parfait du roman pleins de promesses qui m'attire. Je ne suis pas déçu, au contraire. Incroyable.

Commentaire : Parlons de Charlotte, pour commencer. Vous savez à quoi m'a fait penser Charlotte sur certains points ? A Katniss. Une fille embarquée dans quelque chose dont elle n'imaginait même pas les enjeux et les ficelles. Charlotte, orpheline depuis sa naissance et élevée par une tante grincheuse qui ne l'apprécie par le moindre du monde (et c'est réciproque), est en effet une jeune fille d'à peine 19 ans au caractère bien trempé. Ami d'enfance de Billy (même si leur relation est beaucoup plus ambigüe que ça), c'est avec celui-ci qu'elle participe à cette gigantesque aventure. Pour commencer, je dirais que j'ai beaucoup apprécié Charlotte durant la totalité de ce roman. Je crois que, malgré le fait que j'ai parfois du mal avec ce genre de personnage au caractère fort qui n'en font souvent qu'à leur tête, ce type de personnalité correspond parfaitement à l'histoire proposée par Joanne Richoux, car je pense qu'il faut un mental d'enfer pour survivre à tous les événements et les révélations que va subir la jeune fille sans sombrer dans la folie. Malgré cela, j'ai quand même réussi à m’identifier à Charlotte, notamment concernant la fin (je vais vous en reparler de celle-là, attendez un peu). Je crois que j'aurais sûrement pris les mêmes décisions et fait les mêmes choix si de telles événement venaient chambouler ma vie. Concernant l'autre personnage qu'est Billy, je ne pourrais trop vous en dire à son sujet, car il reste finalement assez en retrait durant une bonne partie de l'histoire. Je soulignerais juste le fait que je n'aurais certainement pas fait les mêmes choix que lui, et qu'il m'a beaucoup énervé, notamment à la fin de l'histoire (encore elle, décidément).

Voilà, passons maintenant au sujet que j'ai très envie d'aborder dans cette chronique. Je dois vous avouer aussi que j'ai longtemps, très longtemps hésité à faire une chronique qui, pour la première fois, spolierais la chute. Car c'est bien elle qui me tourmente, qui m'impressionne. Donc je vais à présent laisser exploser les émotions qui m'ont submergés après avoir fini ma lecture. QUOI ? MAIS QUOI ? MAIS C'EST JUSTE IMPOSSIBLE, POURQUOI ? NON MAIS ATTENDEZ LA... (je souffle un instant, bois un coup puis laisse de nouveau mes pensées dériver) IL FAUT QUE JE PARLE A L'AUTEURE, JE TE JURE QUE SI JE LA CROISE EN FESTIVAL, J'VAIS TE LA BOMBARDER DE QUESTIONS PARCE QUE LA... (je redescends un coup) il faut que je me refasse tout le fil de l'histoire, attendez, attendez... (bon faut attendre un peu que je me rebranche cérébralement parlant) MAIS PUNAISE C'EST QUE CA  SE TIENT EN PLUS MAIS J'Y CROIS PAS A CELLE-LA !!!

Voici un peu près ma réaction. Donc l'histoire à présent. Déjà pour commencer, je trouve le décor très spectaculaire et très bien imagé, avec cette véritable reproduction du château de Versaille à la sauce écossaise. Ensuite, les personnages secondaires sont des personnages assez incroyables. Avec leurs valses de couleurs, leurs costumes chatoyants et la mentalité un peu "fo-folle" et des manières tout droit venu du XVIIIème siècle, je peux vous dire qu'on retient chacun d'entre eux. D'ailleurs, je trouve que Joanne Richoux a su faire preuve de beaucoup d'humour, et j'ai franchement ris aux éclats bien souvent durant ma lecture. On remerciera Charlotte pour les répliques trash, qui clouent bien souvent le bec de l'interlocuteur. L'histoire en elle-même à présent. On a planté le décor, les personnages qui accompagneront le lecteur et les principaux personnages durant la lecteur, on peut donc y passé. Déjà, je trouve le principe de base génial et très innovateur. On sort vachement des sentiers battus de la collection Exprim', alors qu'elle-même était déjà un OVNI dans le genre littérature jeunesse. A la manière d'un "Jungle Park" ou d'un "Luna Viva", Marquise nous plonge au coeur d'un château fabuleux, au coeur de cette société secrète que sont les "Voluptueuses", qui n'a pas livré tous ses secrets. Même si l'auteure prend le temps de présenter les différents personnages au début de l'histoire, je trouve que l'histoire s'emballe vraiment à partir de l'entrée de Billy et Charlotte au château. A partir de là, on ne s'ennuie plus une seconde. Le lecteur est plongé au coeur de cette véritable secte écossaise. Difficile de lâcher le livre, il y a toujours au moins une révélation qui nous pousse à aller plus loin. On est à fond. Et là... LA FIN. J'avais tout imaginer. Tout. Sauf ça. Et franchement, j'étais (désolé mais là, il y a pas d'autres mots) sur le cul. La romancière a vraiment géré son livre de bout en bout. On sort de cette histoire embrouillé, et il faut un petit temps avant de comprendre et de ressentir la claque offerte par Marquise.

La plume de Joanne Richoux ? Je dirais que c'est un savoureux mélange entre l'humour et le suspens. Elle sait y faire dans les deux genres. Et franchement, le lecteur est pris. A la manière de Charlotte, la plume de l'auteure colle parfaitement à l'histoire contée. L’exécution, dans la forme et dans le fond, est terriblement bien réussie.

Autant vous le donnez en mille : ce livre est un coup de coeur. En guise de conclusion, j'aimerais ajouté que si par hasard Joanne Richoux tombe sur ce post à propos de son livre, qu'elle fasse attention, car si elle passe un jour aux alentours de Nancy en dédicace, un lecteur passionné sera là pour la féliciter et étancher sa curiosité !


lundi 10 avril 2017

Le coeur des Louves de Stéphane Servant

Auteur : Stéphane Servant

Maison d'édition : Le Rouergue

Collection : Doado

Nombre de pages : 544 pages

Année de sortie : 2013


Résumé de l'éditeur : Célia et sa mère, une écrivaine à succès en panne d’écriture, reviennent vivre dans la maison de leur grand-mère, morte depuis des années, au cœur d’un village perdu dans les montagnes. Leur retour est mal vécu par certains, comme s’il ravivait de vieilles histoires enfouies. Le cœur des louves est un roman impressionnant, flirtant avec le fantastique pour décortiquer les secrets d’une communauté fermée sur elle-même.

Introduction : Je tiens tout d'abord à remercier les éditions du Rouergue pour cet envoi !

Stéphane Servant. Mon dieu que j'ai pu entendre parler de cet auteur, que ce soit sur internet, sur youtube, et même avec une bibliothécaire. Décrit comme un auteur inclassable, tant ses ouvrages sont uniques pour ses lecteurs, je m'étais lancé dans la bibliographie de cet auteur il y a de cela un peu moins de trois ans avec son tout premier roman, publié chez Gallimard jeunesse. Je garde un bon souvenir de cette épopée un peu folle au coeur de l'Andalousie. Avec le coeur des louves, publié aux éditions du Rouergue dans l'excellente collection Doado en 2013, l'auteur a conquis bon nombre de lecteurs (Margaud Liseuse par exemple). Alors, qu'en est-il de mon avis ? Eh bien... trois mots : Coup de coeur.

Commentaire : Ce roman nous plonge au coeur d'un petit village, situé dans un pays inconnu. La seule indication temporelle se situe dans le fait qu'il y a eu une guerre des dizaines d'années auparavant. Le lecteur se retrouve aux côtés de Célia une jeune fille d'environ 16 ou 17 ans. Cette dernière est très peu sociable, et reste bien souvent seule dans son coin. Très débrouillarde et taciturne au premier abord, Célia est quelqu'un de très complexe. Stéphane Servant construit un personnage que je qualifierais d'intemporel, car chacun d'entre nous peut se retrouver en elle, ou du moins la comprendre, même si ce n'est pas un exercice aisé, il faut bien l'avouer. Cette jeune fille donne du fil à retordre au lecteur, qui est très souvent obligé de lire entre les lignes pour bien la comprendre, que ce soit son attitude ou ses choix. Il faut aussi savoir replacer les choses dans leur contexte pour bien savoir qui est vraiment Célia. Je ne vous en dévoile pas trop, mais je serais très heureux de débattre avec les lecteurs de ce livre à propos de ce personnage, car je trouve qu'il y a beaucoup de choses à dire à son sujet. On dirait bien souvent une personne réelle, qu'il est possible de croiser à tout moment dans la rue. Gros coup de coeur pour Célia. L'autre personnage principal du roman, est quelque part sa grand-mère. Même si celle-ci est morte au moment où l'histoire se déroule, elle est très souvent évoquée. On a la sensation qu'elle est la clé de toutes les histoires que ravivent le retour de Célia et de sa mère. Sa mère justement. Elle est, je crois, le dernier personnage que je peux évoquer ici sans risque de spolier l'histoire. Egocentrique, extravagante, elle est l'exemple même de ce que peut provoquer la célébrité. Romancière à succès en panne d'écriture, c'est elle aussi un personnage qu'il vous faut découvrir, je le pense. Pour le reste et bien... A vous de découvrir le panel impressionnant de personnages que Stéphane Servant propose à travers son livre.

Comme indiquer dans le résumé, les deux femmes retournent dans la maison de la grand-mère de Célia, donc la mère de Catherine, perché au coeur de la montagne, dans un petit village rempli d'histoire. L'histoire de ce livre justement. Un mot me vient à l'esprit. Un son plus précisément. Wouah ! Quelle imagination ! C'est... C'est... C'est incroyable ! Je ne sais pas si j'arriverais à trouver les bons mots pour décrire ce que Stéphane Servant a réussi à faire avec ce livre. Tout d'abord, cette histoire est un subtile mélange entre la réalité et le fantastique. Je crois que beaucoup seront du même avis que moi quand j'affirme que j'ai souvent eu énormément de mal à démêler la réalité de la fiction. C'est sûrement la première fois que je lis un bouquin capable de combiné aussi finement deux genres qui sont totalement opposés, à savoir le fantastique au récit de vie. Le romancier mélange également le passé et le présent. Il nous propose beaucoup de flash-backs du passé, à l'époque de l'après-guerre et de la grand-mère de Célia. L'intrigue est rudement bien mené. L'auteur nous laisse dans le flou durant quasiment tout la durée de l'histoire, ne nous offrant que quelques éléments de réponses à nos questions, qui en occasionnent souvent de nouvelles pour le lecteur. On cherche à en savoir toujours plus. De nouvelles révélations, toujours plus importantes et surprenantes les unes que les autres, plongent le lecteur dans une addiction sans fin pour le roman. Il me fallait à tout prix toujours en savoir plus ! L'auteur sait parfaitement bien arrêter ses chapitres au bon moment, laissant le lecteur sur sa fin. Une histoire parfaite je vous dis, de laquelle je ne veux révéler aucun éléments, pour que la surprise vous soit totale lors de votre propre lecture ! Là encore, pour ceux ayant déjà découvert ce bouquin, je vous propose d'en discuter en commentaire car je crois que chacun peut interpréter sa lecture à sa manière, en fonction de ce qu'il a ressenti et de la situation dans laquelle il a lu Le Coeur des Louves, un peu à la manière du Petit Prince. Je serais heureux de croiser ces différentes versions de compréhension avec vous.

Pour finir, parlons écriture. L'écriture de Stéphane Servant m'avait déjà convaincu dans Guadalquivir, mais là... Wouah ! encore une fois. Les comparaisons, les métaphores et autres figures de styles pleuvent durant toute la durée du roman. Le lecteur est emporté dans l'univers envoûtant de ce petit village. Une atmosphère se dégage de ce livre, qui fait que lorsque l'on s'arrête de le lire, il faut en émerger comme d'un long sommeil. Après une telle découverte, je peux vous affirmer que je compte bien lire d'autres livres de Stéphane Servant à l'avenir, je pense notamment à La Langue des Bêtes.

Je crois que je viens de lire l'un de mes plus gros coup de coeur de cette année ! Bravo au Rouergue et à Stéphane Servant pour cette pépite ! A lire de toute urgence !

L'atelier d'écriture n°262 : Introduction d'une vie nouvelle



L'homme sur la photo, c'est moi. Ce cliché a été pris le 13 mai dernier, date de mon cinquantième anniversaire. Le demi-siècle quoi. J'ai longuement observé cette image, du haut de mon minuscule appartement, perché tout en haut de cette tour jaunâtre, plantée au milieu de la banlieue napolitaine. La clope au bec, le bonnet mauve, le manteau kaki dégueulasse, l'écharpe à carreau rouge, tout ça tout ça... Je n'ai aucun miroir dans mon logis. Ni même aucune compagnie. Solitude et silence. Des maîtres mots que jamais je ne brise. Je n'ai aucun ami. J'ignorais jusqu'alors qui avait pris cette photographie pour le moins bizarre. Je l'ai gardé pour... a vrai dire, je ne sais pas. A chaque fois que je l'observe, je ne me reconnais pas. Je ne sais pas qui je suis. Je me répète souvent intérieurement que l'homme balafré par la vie qui apparaît devant mes yeux ne peut être moi. Je ne peux ressembler à...à... à cette horreur. Et pourtant... si. Je ne sais pas, et ne saurais sûrement jamais qui a déposé dans ma poche cette chose... Mais maintenant qu'elle est avec moi, je la fixe. Et pour la première fois depuis tant et tant d'années, je lui parle. Ma voix emplit mon habitat, mon chez-moi, mon logis. Je parle, je me libère d'un poids trop dur à porter. Je lui conte ce que j'aurais voulu devenir, qui j'aurais aimé devenir, qui je ne suis pas devenu, ce que j'ai raté, le peu de choses que j'ai réussi... Je lui parle d'une vie de rêve, de ma vie de rêve, de celle que je mène,  de ma réalité... Rien ne vient perturber mon récit rempli d'émotions. Le cliché reste là, posé sur la vieille table de bois dégarnie. Il a l'air de m'écouter. Lorsque mon récit se termine, ce ne sont non plus des paroles qui envahissent l'espace, mais mes sanglots entrecoupés de gémissements. Je pleure. Comme j'aurais dû pleurer depuis longtemps. Ciel sombre duquel s'écoule des milliards de gouttes froides de tristesse et de haine. Je n'arrive pas à me calmer. Impossible. Barrage d'émotions qui cède. Alors je me précipite dans tout l'appart. Et je casse. Machine à détruire un passé qu'il a trop brassé. Tornade dévastatrice. Incendie de rage. Tout y passe. Je broie, frappe, détruit, explose, démonte tout ce qui passe à ma portée, quitte à m'en faire saigner les phalanges. Pour finir, je prend la photo entre mes doigts rouges et tremblants. J'hésite. Beaucoup. Quelques heures, je crois. Je ne suis plus sûr de rien. Je ne suis plus maître de mon corps. Je me laisse guidé par une force inconnue qui me domine de long en large. Je finis par la jeter sur le sol dévasté de la pièce principal. Pour compléter mon oeuvre. D'une main, j'attrape le briquet posé dans ma poche, de l'autre, je récupère la photo délaissée quelques secondes plus tôt sur le sol. Je l'embrase. La dépose délicatement cette fois, sur le sol. Une tâche de feu envahi peu à peu la salle à manger. Je la regarde, sans bouger, comme hypnotisé par la flamme qui danse devant mon visage pâle. Puis, d'un pas décidé, je m'éloigne de la douce musique du crépitement du feu, et je rejoins ma chambre. Ferme la porte à clé. Clos la fenêtre. Tire les volets. Me déshabille lentement. Une fois nu, je me glisse dans mon lit grinçant, sous les draps sombres. Et, dans une dernière pensée avant que le sommeil ne m'étreigne de ses bras doux et chauds, je songe avec une ironie mordante qui me glisse un sourire au coin des lèvres, que la nuit risque d'être chaude.

Ce texte a été écrit pour l'atelier d'écriture de Leiloona. La photo a été prise par (c) Kot.

lundi 3 avril 2017

Atelier d'écriture n°261 : Dream


Andréa ouvre les yeux. Lentement. Très lentement. Tout n'est qu'ombre et blancheur autour de lui. Ses yeux vitreux, d'un vert livide, tournent autour dans leurs orbites, l'air perdu. Il est attaché. Premier constat. Il inspire un grand coup. Il ignore ce qu’il fait là, tapi dans l'ombre d'une pièce inconnue. Ses yeux se posent sur cette paire de jambes, postée devant lui. Sa position lui permet à peine de distinguer les chaussures à talon, occupées par des pieds fins, et les jambes qui s'en échappent. Pas de voix. Rien. Le jeune homme tente de lever les yeux. Impossible. Il s’époumone, hurle, se débat. Rien. Aucune réaction. L'impression que personne ne l'entend, ne le comprend. Un grand vide l'envahit. Alors il panique. Pourquoi est-il là ? Qu'a-t-il fait ? Comment a-t-il pu se retrouver ici ? Et par-dessus tout : Où est Richard ? Il faut qu'il le trouve. Il recommence alors à se débattre. Il détruit ses liens à en s'en faire saigner chevilles et poignets. La paire de jambes n'a toujours pas bougé. C'est alors qu'une chose se produit. Un grondement se fait entendre. Andréa, libre, se relève. Face à la femme à la paire de jambes fines. Son visage est... normal. Il en aurait attendu quelque chose de surprenant, presque de dérangeant. Mais très vite, les yeux de la dame le fixent. Ils accrochent son propre regard. Pour ne plus le lâcher du tout. Ils s'ouvrent en grand, très grand, trop grand. On dirait qu'ils veulent avaler le garçon tout entier. Un cri retentit. Le bleu des yeux hypnotisants de la femme avalent Andréa.
*****
Andréa est couché dans le sable blanc d'une dune. En contrebas, les vagues lèchent doucement les petites graines pâles qui se laisseraient volontairement attraper par la force tranquille de l'océan. Aux alentours, tout est paisible. Le jeune homme se relève, hagard. Le mégot et la bouteille toujours posés à ses côtés, il se rend compte qu’il s'est endormi. Et qu'il a évité le coma éthylique de très peu. Les feuilles de papiers sont éparpillées autour de lui, colombes de bonheur après l'enfer qu’il vient inconsciemment de traverser. Andréa sourit, puis récupère chacune des pages, se rendant compte de l'importance de ces parchemins et relisant l'écriture fine couchée sur le papier. Il cale rapidement chacun des feuillets sous son bras, puis se roule une nouvelle cigarette, et regarde l'horizon. Ses pensées reprennent peu à peu leur cours. Bientôt, elles prennent le dessus sur tout. Sur le monde. Alors Andréa parle, interprète son rêve, se livre à cette dune, et ces milliards de petits graines, et cette infinité de gouttes salées. Ses lèvres se dénouent, il s'exprime enfin.
" C'est donc ici que mon périple s'achève. Pourquoi pas ?" Il s'arrête un instant, tire une taffe sur sa clope, et reprend. "Tous ces mois à marcher, à rencontrer des gens, à parler, à se taire, à se défouler, à se calmer, à tenter d'écrire des mots qui ne viennent pas, à boire, à fumer, à crier à en perdre la voix, à composer, à aimer, à haïr, à s'amuser, à se retrouver. Tout ça pour ça. Pour une plage, loin de tout, un sac, un paquet de cigarettes dans la poche, de l'alcool, mon stylo, mes feuilles, un rêve bizarre." Il s'arrête à nouveau. Relit lentement toutes les lignes écrites, comptent. Il regarde la lune, le ciel foncé piqueté des points lumineux, la mer et ses remous blancs. Il guette chaque son provenant des alentours. Le bruit entêtant de l'océan le berce. Il se lève, fais quelques pas, tape dans un mur invisible constitué de toute sa rancoeur et sa haine, compte ses pas dans le sable, décide finalement de se rassoir. Andréa relit encore une fois ses compositions. Compte chaque feuilles, chaque phrase, chaque syllabe, chaque lettre. Il s'allonge ensuite dans le doux sable, et, dans la douce caresse du vent sur son visage, reprend finalement sa réflexion.
"Tout ce que j'ai écrit ce soir est nul. Il n'y a rien. Rien de vrai. Rien de faux. Si je reviens avec ça, je n'ai pu qu'à me tirer une balle. Toutes ces lignes sentent la haine, la rancoeur, la superficialité, l'argent, la commercialité. J'étais défoncé en les écrivant. Ca se voit. Tout cela ne me ressemble pas. Mais après tout... Qu'est-ce qui me ressemble vraiment ?"
Une larme coule sur sa joue. Il l'essuie d'une revers de main. Son esprit dérive sur ce rêve étrange. Il philosophe, pense, réfléchit, se pose des questions. Comme à chaque fois qu'il pense, d'ailleurs. Il s'en rend compte à présent. Il se pose toujours des questions.
"Je me suis arrêté de vivre. Tout le monde attend mon retour là-bas. Tous attendent le retour du roi de la musique urbaine. Tous attendent ce putain de nouvel album. J'y pense. Ne vous inquiétez pas. Je pense à cet album. Pourtant, rien ne me convient. Serais-ce la fin de cette aventure qu'est la musique ? C'est impossible..."
Une nouvelle larme coule le long de sa joue. Il la laisse s'écraser dans le sable, cette fois. ll songe au suicide, pour avoir déçu sa famille, qui l'attend, ses fans, qui veulent l'entendre à nouveau. Il pense à tous ses concerts, à toutes ses interviews, à toutes ses prises de tête. Sans se poser de question. Un simple retour en arrière, pour une fois. Pour la première fois.
"Ce rêve était un symbole. Les liens à trancher pour écrire ce nouvel album. Ce nouveau classique. La femme à atteindre, les jambes à remonter pour voir le visage du succès et de la libération. Il faut que je raconte ce rêve, il faut que je me raconte. Voilà tout. Comme avant, écrire pour moi. Pas pour les autres."
Alors, avec le briquet, il brûle les feuillets devenus inutiles. Il récupère son stylo, quelques feuilles, et, avec sa plume raffutée et raffinée, il se raconte. Comme avant. Il écrira jusqu'à l'aube. Si bien qu'il s'endormira, les feuilles une nouvelle fois éparpillées autour de lui. Une femme passera sur cette plage ce matin-là, et attirée par ce corps immobile, s'approchera. Elle réunira les feuille sous la main d'Andréa et repartira, sans un mot. Neuf mois plus tard, comme un bébé dont on accouche, son nouvel album sort sous un simple nom : "Dream".

Ce texte a été écrit pour l'atelier d'écriture de Leiloona. La photo a l'air libre de droit (si quelqu'un peut m'indiquer l'auteur).

samedi 1 avril 2017

Rien ni Personne de Lorris Murail

Auteur : Lorris Murail

Maison d'édition : Sarbacane

Collection : Exprim'

Nombre de pages : 224 pages

Année de sortie : 2017




Résumé de l'éditeur : La vieille dame semble avoir poussé comme un champignon, au milieu de la clairière. Quand Jeanne la trouve par hasard, elle ne réagit pas, semble égarée. Jeanne n’a que faire d’une mamie sauvage : elle s’apprête à l’abandonner à qui voudra…

… et cependant, contre toute attente, elle revient sur sa décision et l’emmène avec elle – pour un temps. La voilà dans la cabane où elle s’est établie, face à la mer, avec sur les bras cette vieille mutique qui ne lui appartient pas.
Jeanne a ses propres problèmes. En fuite, elle vise la lointaine Thaïlande, où elle espère exercer ses talents de boxeuse thaï. En effet, elle sait pouvoir encaisser les coups : son corps ne les sent pas. À l’intérieur, c’est une autre histoire.

Introduction : Je tiens tout d'abord à remercier les éditions Sarbacane pour cet envoi !

Lorris Murail chez Sarbacane ! Après Vincent Villeminot en novembre dernier, la collection Exprim' accueille un autre grand nom de la littérature pour jeune adulte française en la personne de Lorris Murail. Bien que n'ayant jamais lu de roman de cet auteur, je le connaissais plutôt bien, pour avoir à plusieurs reprises son nom dans une conférence sur la maison d'édition Scrinéo (lien à coller) pour son livre Shanoé. Je comptais lire ce dernier par la suite, mais voyant qu'il sortait ce nouveau livre, je me suis empressé de le demander. Et... Wouah !

Commentaire : Ce livre nous mène à la rencontre de Jeanne, une jeune fille solitaire et teigneuse qui n'a qu'un rêve : partir en Thaïlande pour boxer et vivre de sa passion. Au moment où nous le lecteur la rejoint, son départ semble imminent. Mais il y a cette grand-mère, qu'elle trouve par hasard en forêt, assise sur son tronc, sans bouger. Une grand-mère qu'elle nommera par la suite "Al". Pour parler de ces deux personnages, je les ai trouvés touchants. Surtout Jeanne en fait, sachant que Al est plutôt... particulière. Jeanne, c'est cette jeune fille sauvage, hargneuse, seule, renfermée sur elle-même comme une huître. Pourtant, cette grand-mère perdue, égarée dans une forêt qui ne veut pas d'elle, va contre toute attente la faire s'ouvrir. Et pour la première fois dans sa vie, Jeanne va se confier. Celle qui avait pour habitude de s'exprimer en frappant va apprendre à parler, à raconter, à se raconter. Les deux, la veille femme fragile et la jeune fille brute se complètent à merveille. C'est un duo inattendue mais merveilleux. Je ne me suis pas autant attachée à Al qu'à Jeanne. La vieille dame reste tout de même très mystérieuse, et l'on en sait finalement très peu d'elle tout au long de l'histoire. Jeanne quant à elle, malgré la brutalité et l’agressivité qui peuvent émaner de sa personne au premier abord, reste tout de même mon gros coup de coeur de ce livre. Au fur et à mesure de l'histoire, elle se dévoile, se découvre, se libère. C'est comme une fleur qui éclôt peu à peu. Une évolution tout en émotion, tout en douceur finalement, malgré la violence apparente du personnage. Je crois que le lecteur ne peut que s'attacher à elle pour toutes ces raisons, et cela va croissant au fur et à mesure des pages qui défilent.

L'histoire, cette histoire, n'est pas seulement celle d'une rencontre inattendue entre deux êtres opposés qui s'attirent. Cette histoire est aussi celle d'un rêve, d'un passé, d'un récit de vie. On découvre finalement en même temps qu'Al l'histoire de la vie de Jeanne. C'est tout en émotion. L'émotion. C'est quelque chose de très présent durant la totalité de notre lecture. Lorris Murail joue beaucoup sur cela. L'émotion. C'est peut-être le premier mot qui me viendrait à l'esprit pour décrire ce beau livre. L'émotion. Je trouve juste que toute cette atmosphère véhiculée par les personnages et l'écriture est un peu gâchée par quelques longueurs. Il y a certains moments où l'histoire piétine. C'est dommage, sinon le tableau aurait presque été parfait.

J'ai beaucoup aimé la plume de Lorris Murail, qui, comme je le disais plus haut, renvoie beaucoup d'émotions différentes au lecteur. Le récit est poétique malgré parfois la dureté des faits racontés. L'auteur écrit simplement, sans faire des tonnes de descriptions, sans rajouts inutiles. Il pique parfois son récit de quelques belles figures de style. On appréciera tout cela à sa juste valeur. Je compte bien lire d'autres romans de monsieur Murail à l'avenir, notamment Shanoé, qui m'intrigue énormément.

Je voudrais juste rajouter un petit quelque chose sur la fin. Une fin pour le moins inattendue pour moi. J'en avais les larmes aux coins des yeux. Malgré cela, je trouve cette chute naturelle, normale. Elle ponctue parfaitement bien un récit aux nombreuses nuances, sombres ou colorées.

Encore une fois, la collection Exprim' ne me déçoit pas. Entrée gagnante pour Lorris Murail, qui saura convaincre les lecteurs en quête d'émotions !