lundi 25 novembre 2019

Atelier d'écriture N°350 d'Alexandra K : Intérieur Monde



Réfléchir. S'en aller. Loin. Très loin. Beaucoup trop loin. Je n'ai jamais réellement compris comment était-ce possible, "nous" ? L'humanité, la beauté du monde, le reflet du soleil sur le cuir chevelu, les nuits sans sommeil à regarder les étoiles en fumant cigarette sur cigarette, l'amour. Peut-être avais-je imaginé que la philosophie me calmerai. Ou l'âge. Ou la terminale. Se mettre à la place de la pensée des autres pour essayer de se comprendre soi-même. Trop compliqué, bien trop de soucis avec mon ça, mon moi et mon surmoi pour un tel exercice. Une feuille, du papier. Un écran, un clavier. La technologie aussi me dépasse. Pourtant je rentre en plein dedans, en piochant deci delà quelques mots mis bout à bout pour exprimer quelque chose de confus, sans doute inutile. Qu'est-ce qui est utile à l'heure actuelle ? La survie, peut-être, et encore. 


Peut-être que finalement, ces textes ne changeront jamais. Peut-être que je parlerai toujours de mes sentiments, et tentant de les déposer sur un personnage qui me ressemble. Tout ce que j'ai inventé ici, depuis trois ans, se rapporte toujours à quelque chose, ou plutôt quelqu'un. Moi. Et l'écriture. Et le voyage. Et l'amour. Le résumé d'une petite vie de dix-sept ans à peine. 


Tiens c'est marrant, aujourd'hui j'ai écrit une douzaine de pages pour ma matière préférée. La religion est-elle compatible avec la liberté ? J'y ai répondu oui, étonnement. Je me sens satisfait, et je trouve le début de ce petit texte un peu trop triste. Il ne s'agit pas de ça, il s'agit d'absurdité, de quelqu'un qui avance à l'aveugle, en regardant toujours derrière lui. Foutaises. J'essaie juste de me trouver des réponses car je ne trouve pas de réaction adéquate au début de cet écrit. Terrible exercice que de se trouver face à soi-même. On dirait un mélange entre Meursault et 'Extérieur Monde' (très bon roman de cette année). Je ne me sens pas triste pourtant. Je réfléchis encore beaucoup trop. Et toujours cette même conclusion, en marchant dans la brume de ma vie, une capuche sur la tête : j'ai besoin de vacances. A la mer, de préférence.

Ce texte a été écrit et publié également sur le site Bric a Book. La photo est de (c) helloschmitt.

samedi 9 novembre 2019

Un classique de la littérature américaine : Ne tirez pas sur l'oiseau moqueur d'Harper Lee

Auteure : Harper Lee 

Maison d'édition : Le livre de Poche

Année de sortie : 1960

Nombre de pages : 450 pages





Dans une petite ville d'Alabama, au moment de la Grande Dépression, Atticus Finch élève seul ses deux enfants, Jem et Scout. Homme intègre et rigoureux, cet avocat est commis d'office pour défendre un Noir accusé d'avoir violé une Blanche. Celui-ci risque la peine de mort.







 Cadeau d'anniversaire, ce classique à en devenir (s'il ne l'est pas déjà) de la littérature américaine, que l'on pourrait comparer en terme d'impact et d'époque à un Attrape-Coeurs de Salinger, 'Ne tirez pas sur l'oiseau moqueur' est une de ces oeuvres dont l'impact se mesure après des semaines, voir des mois suivant la lecture. Que vaut ce Prix Pulitzer, récompense américaine des plus prestigieuses ? Tentative de réponse et décryptage. 






Malgré une époque complètement différente de la nôtre, à savoir les années 60 aux USA, une période où la discrimination raciale est une norme , il est pourtant assez aisé d'entrer dans l'oeuvre d'Harper Lee. Comme nous le laisse présager la couverture, la romancière nous plonge dans la tête d'une jeune fille nommée Scout. Le point de vue est donc interne, on ne connaît ainsi que ses émotions et ses pensées à elle. C'est déjà une bouffée d'air, tant le propos tenu peut parfois s'avérer extraordinaire, dans le sens étymologique du terme. Le fait que ces événements, à savoir le procès de cet homme noir défendu par le père de Scout, Atticus, et tout ce qui l'entoure, nous soit retransmis par une petite fille, permet une meilleure compréhension des enjeux présentés dans l'oeuvre mais aussi un point de vue quelque peu différent, plus innocent et moins empli de gravité que celui du lecteur, qui est presque déjà adulte. 



"Je voudrais que tu comprennes ce qu'est le vrai courage. C'est savoir que tu pars battu d'avance, et malgré cela, agir quand même et tenir jusqu'au bout." 




Avec quelques recherches supplémentaires, on peut rapidement émettre l'hypothèse que ce personnage contient une grande part autobiographique de l'auteur, qui a pleinement vécue ces périodes discriminatoires, avec un regard enfantin puis plus adulte. C'est ici le premier choix qui est privilégié, et c'est en grande partie ce qui offre sa particularité générale à l'oeuvre, tant la vision "jeune" est justement présentée ici. De plus, une petite fille sera plus apte à toucher un large public. Que l'on n'aime ou pas, Scout ne peut, pour sûr, pas vous être indifférent, et c'est déjà une première marque dans l'esprit du lecteur. 




"Tu es trop petite pour comprendre, mais parfois, la Bible est plus dangereuse entre les mains d’un homme qu’une bouteille de whisky entre celles de ton père."


'Ne tirez pas sur l'oiseau moqueur' présente un fait presque commun, mais avec une remarquable justesse, dans les émotions comme dans le réalisme. On le décrit souvent comme un roman important, et pour cause ce procès envers un homme noir, véritable témoignage et démonstration des moeurs de l'époque. Mais il n'y a pas que ça. Harper Lee ne se contente pas de parler de ce fameux procès avec des termes techniques qui démontrent une certaine documentation. Elle parle aussi de l'atmosphère qui emplit la petite ville où habite Scout, des relations entre les habitants, du rythme de vie de cette époque. Alors qu'on pourrait penser l'oeuvre presque démunie de sentiments avec ce côté procédural, c'est finalement l'inverse qui se produit. L'immersion du lecteur est totale, et pour le coup, Haper Lee a réellement pris le temps de creuser plusieurs personnages de façon éclectique : différentes classes sociales, différentes tranches d'âges sont présentées ici, avec toujours ce point de vue mi-enfantin mi-adolescent. Là encore, Scout nous permet d'avoir littéralement un deuxième avis, puisqu'elle est logiquement moins âgée et donc moins expérimentée que chaque lecteur. Ainsi, nous sommes complètement pris par la lecture de l'ouvrage, qui se lit finalement très rapidement, alors que l'intrigue n'est pas emplie par l'action et le suspens, mais plutôt par un récit fluide, linéaire et quotidien. Expérience surprenante. 



"À Maycomb, si l’on sortait se promener sans but précis, on passait pour n’avoir pas le cerveau très précis non plus." 


A bien y réfléchir, ce qui rend ce petit bijoux si unique, c'est finalement un tout. Un ensemble harmonieux entre l'innocence de l'enfance, amenée par Scout, une ambiance travaillée, amenée par la petite ville d'Alabama et son florilège d'habitants, et une histoire, qui, malgré quelques longueurs dans les descriptions quotidiennes (passage à l'école, embrouilles entre frère et soeur) délivrant un message empli de tolérance, témoignage des années sombres aux Etats-Unis, à savoir les années 50-60-70.



"Et puis les gens n'aiment pas que quelqu'un se vante d'en savoir plus qu'eux."


 C'est avant tout ce qui me semble important de souligner, et c'est ce que j'avais marqué de rouge dans mes quelques notes de post-lecture. 'Ne tirez pas sur l'oiseau moqueur' est une oeuvre qui est ancrée dans un temps qui n'est plus le nôtre, mais qui malgré tout arrive, par une quelconque magie, à revêtir un aspect actuel surprenant, prenant, révélateur et élégant. Lorsqu'on sait qu'il s'agit de l'unique roman publié par Harper Lee de son vivant, et que celui-ci arrive à le faire passer à la postérité, il n'est plus permis de doute sur la force absolue qui s'en dégage. On peut le relire sans aucun soucis. Très rare dans la littérature. 




"La seule chose qui ne doive pas céder à la loi de la majorité est la conscience de l'individu."


C'est ce dernier point que j'aimerais aborder ici, car c'est celui sur lequel va se terminer cet avis. Je crois, et je suis même sûr, que cet ouvrage possède plusieurs niveaux de lectures. Je pense que vous l'aurez également deviné à travers ces quelques lignes. Toutefois, je crois qu'on vient lire cette oeuvre dans un but précis, et vous-même qui vous y mettrez (peut-être) après cette chronique, vous lirez 'Ne tirez pas sur l'oiseau moqueur' pour y retrouver un point de vue, un personnage ou un procès important. Comment lire cet oeuvre et en profiter dans sa globalité ? Partir sans rien avoir lu ou entendu dessus sans doute, de la même façon que l'on lit différemment 'Le Petit Prince' avant ou après une épreuve de la vie, dans notre jeunesse ou alors qu'on ait plus de hier que de demain. Dans tous les cas, c'est une (re)découverte. C'est un peu ce que j'ai ressenti après et pendant cette lecture. Très agréable. 








Vendre ce livre comme un roman important ne serait qu'un euphémisme, je dirais même qu'il constitue une lecture nécessaire dans la vie de chacun. Abordable et subtile, proposant des ambivalences et un intérêt très riche, 'Ne tirez pas sur l'oiseau moqueur fût une lecture plus qu'importante durant mon été. A lire d'urgence.

Témoignage réaliste et cinglant : Mur Méditérranée de Louis-Philippe Dalembert

Auteur : Louis-Philippe Dalembert

Maison d'édition : Sabine Wespieser éditeur

Année de sortie : 2019

Nombre de pages : 336 pages






À Sabratha, sur la côte libyenne, les surveillants font irruption dans l'entrepôt où sont entassées les femmes. Parmi celles qu'ils rudoient pour les obliger à sortir, Chochana, une Nigériane, et Semhar, une Érythréenne. Les deux amies se sont rencontrées là, après des mois d'errance sur les routes du continent. Grâce à toutes sortes de travaux forcés et à l'aide de leurs proches restés au pays, elles se sont acharnées à réunir la somme nécessaire pour payer les passeurs, à un prix excédant celui d'abord fixé. Ce soir-là pourtant, au bout d'une demi-heure de route dans la benne d'un pick-up fonçant tous phares éteints, elles sentent l'odeur de la mer. Un peu plus tôt, à Tripoli, des familles syriennes, habillées avec élégance comme pour un voyage d'affaires, se sont installées dans les minibus climatisés garés devant leur hôtel. Ce 16 juillet 2014, c'est enfin le grand départ. Dima, son mari et leurs deux fillettes ont quitté leur pays en guerre depuis un mois déjà, afin d'embarquer pour Lampedusa. Ces femmes si différentes , Dima la bourgeoise voyage sur le pont, Chochana et Semhar dans la cale , ont toutes trois franchi le point de non-retour et se retrouvent à bord du chalutier, unies dans le même espoir d'une nouvelle vie en Europe. L'entreprenante et plantureuse Chochana, enfant choyé de sa communauté juive ibo, se destinait pourtant à des études de droit, avant que la sécheresse et la misère la contraignent à y renoncer et à fuir le Nigeria. Semhar, elle, se rêvait institutrice, avant d'être enrôlée pour un service national sans fin dans l'armée érythréenne, où elle a refusé de perdre sa jeunesse. Quant à Dima, au moment où les premiers attentats à la voiture piégée ont commencé à Alep, elle en a été sidérée, tant elle pensait sa vie toute tracée, dans l'aisance et conformément à la tradition de sa famille. Les portraits tout en justesse et en empathie que peint Louis-Philippe Dalembert de ses trois protagonistes,  avec son acuité et son humour habituels, leur donnent vie et chair, et les ancrent avec naturel dans un quotidien que leur nouvelle condition de « migrantes » tente de gommer. Lors de l'effroyable traversée, sur le rafiot de fortune dont le véritable capitaine est le chef des passeurs, leur caractère bien trempé leur permettra tant bien que mal de résister aux intempéries et aux avaries. Luttant âprement pour leur survie, elles manifesteront même une solidarité que ne laissaient pas augurer leurs origines si contrastées. S'inspirant de la tragédie d'un bateau de clandestins sauvé par le pétrolier danois Torm Lotte en 2014, Louis-Philippe Dalembert déploie ici avec force un ample roman de la migration et de l'exil.








Lu avec le lycée, dans le cadre du prix Goncourt des Lycéens, ce roman traite d'un sujet que l'on étudie tantôt en cours, à travers quelques extraits et autres photos, en Histoire ou en Français. Ici, le ton est donné dans un résumé ultra-pointilleux : nous sommes ici dans le concret, avec une triple narration sans pincette, de trois destins différents, avec pour tous un même but : le Mur de la Méditerranée.





Beaucoup de choses frappent dans cette oeuvre, qu'il est, à mon sens, essentiel  de découvrir dans le monde qui est le nôtre. Ces hommes, ces femmes qui tentent tous les jours la traversée de cette mer, sont ici mis en valeur, avec une justesse d'écriture, une précision dans la narration qu'il est important de souligner. C'est d'abord ce qui m'a frappé, en tant que lecteur qui sort de sa zone de confort, au point de me questionner. Ces personnages sont-ils inspirés de personnes réelles, ou sont-elles lambda, avec une volonté de rassembler et d'en faire des symboles de cette crise qui touche l'Europe depuis quelques années ?


"La mort, paraît-il, ne surprend jamais personne."

 
 Le travail de documentation proposé dans le roman est complet. Dalembert compose en effet des personnages vraiment fouillés, avec une personnalité qui leur est propre, mais aussi des religions, des réflexions, des traits de caractère uniques. En dehors d'eux, chaque système politique, économique ou religieux est expliqué et simplifié pour devenir accessible à tous. Ainsi, le texte revêt une dimension universelle forte et rare. Qu'il s'agisse de Dima, de Chochana ou de Semhar, chacune touchera plus ou moins l'un ou l'une d'entre nous, pour sa situation, sa façon de voir les choses ou encore les épreuves qu'elles ont traversées pour en arriver là, à défaut de pouvoir réellement s'identifier à elles. C'est tout d'abord par là que passe la force de Mur Méditerranée, celle de ses protagonistes, la volonté du désespoir qui touche en plein coeur quiconque s'aventure au gré de cette plume, quelque part en Afrique ou au Moyen-Orient, jusqu'au bateau final... Pour toujours nous tenir en haleine. Second fait marquant. 


"Parfois, en croyant se sauver, elles tombaient de la poêle à la braise, c'est-à-dire dans les nasses de réseaux de passeurs concurrents, plus féroces encore."




Le style de narration de Louis-Philippe Dalembert est tout à fait novateur. Le récit est à la troisième personne, point de vue omniscient, donc immersion totale au sein des pensées et des ressentis de chacun. Pour accentuer cela, le romancier se base à plusieurs reprises sur des ellipses, où l'on repart de zéro en quelque sorte, pour suivre un nouveau destin, le détailler, le décortiquer, et faire en sorte d'être encore plus touché par leur sort, pour finir. Si ce mode narratif me pesait quelque peu à première vue, puisque le lecteur est tout de même coupé en pleine action présente, c'est-à-dire globalement au moment de l'embarquement. L'herbe coupée sous le pied de cette façon présentait un certain motif de frustration pour moi, qui constitue je pense le seul petit défaut général de l'oeuvre, qui reste malgré tout très prenante, avec ce style narratif particulier, que renforce l'écriture de Dalambert.


"Et les humains, c'est pareil aux arbres, ils ne peuvent vivre sans racines. "


Ce dernier ne prend aucune pincette pour dire ce qu'il y a dire, et décrire. Autant le préciser de suite, les mauvaises conditions d'hygiènes, de vie, la mort, l'abus des passeurs qu'il soit économique ou sexuel, tout est présenté ici, autant pour choquer (prise de conscience quasi instantanée, vous l'aurez compris) que par soucis d'un certain réalisme. C'est aussi à ce niveau que l'on se rend compte du travail de sape de l'auteur, qui emploie des mots justes dans d'autres langues, ou par exemple des prières religieuses pointues et spécifiques à chacun de ses protagonistes. Le voyage forcé est également remarquable, si bien que j'ai parfois été vérifié la succession des pays et des villes pour me tenir au courant de l'avancée des trajets sur un globe terrestre. 







Ce bouquin n'est pas un roman approximatif, rempli de clichés sur cette crise migratoire dont on se fait des idées sans vraiment en connaître les détails (elle n'est pas très médiatisée ni approfondie non plus). Ici, la justesse et la maîtrise font que cette oeuvre de Dalembert doit être lu par jeunes adolescents comme par personnes plus âgés, aussi bien pour son côté narratif prenant que pour son aspect documentaire et témoignage. Une double facette exploitable très intéressante, qui fait du texte un élément d'appui dans des débats éventuels. Pour une première dans ce Goncourt des Lycéens, je suis emporté, touché et convaincu.