samedi 13 juin 2020

Une autobiographie poignante et intimiste : Avant que j'oublie d'Anne Pauly

Auteur : Anne Pauly

Maison d'édition : Editions Verdier

Année de sortie : 2019

Nombre de pages : 138 pages




Il y a d'un côté le colosse unijambiste et alcoolique, et tout ce qui va avec : violence conjugale, comportement irrationnel, tragi-comédie du quotidien, un « gros déglingo », dit sa fille, un vrai punk avant l’heure. Il y a l’autre  le lecteur autodidacte de spiritualité orientale, à la sensibilité artistique empêchée, déposant chaque soir un tendre baiser sur le portrait pixelisé de feu son épouse ; mon père, dit sa fille, qu’elle seule semble voir sous les apparences du premier. Il y a enfin une maison, à Carrières-sous-Poissy et un monde anciennement rural et ouvrier.
De cette maison, il va bien falloir faire quelque chose à la mort de ce père Janus, colosse fragile à double face. Capharnaüm invraisemblable, caverne d'Ali-Baba, la maison délabrée devient un réseau infini de signes et de souvenirs pour sa fille qui décide de trier méthodiquement ses affaires.
Que disent d'un père ces recueils de haïkus, auxquels des feuilles d’érable ou de papier hygiénique font office de marque-page ? Même elle, sa fille, la narratrice, peine à déceler une cohérence dans ce chaos. Et puis, un jour, comme venue du passé, et parlant d'outre-tombe, une lettre arrive, qui dit toute la vérité sur ce père aimé auquel, malgré la distance sociale, sa fille ressemble tant.






 Je crois n'avoir jamais lu d'autobiographie, à l'exception de quelque service presse il y a deux ou trois ans. Pour cette raison, j'ai repoussé ma lecture. Par crainte de ne pas accrocher, de ne pas arriver en entrer dans un texte aussi... intime, réaliste, du moins c'est ce que le synopsis laissait présager. Je me suis laisser finalement cueillir, un soir de week-end, pour une lecture éprouvante, essoufflante... Peut-on dire que l'on aime une telle oeuvre ? Je l'ignore, mais l'on peut dire qu'elle claque, au sens propre du terme. 





"Elle avait dû perdre beaucoup de gens dans sa vie pour savoir si bien dire au revoir." 


'Avant que j'oublie', c'est avant tout une relation complexe, nuancée, presque alambiquée, entre un père et une fille, en l'occurence l'auteur de ce texte, Anne Pauly. Les souvenirs, les détails, les descriptions gravitent autour de ces deux êtres qui s'explorent l'un et l'autre, et dont les sentiments réciproques sont à la fois limpides et si obscurs.



"Au fond, on ne sait jamais vraiment si quelqu'un boit pour échouer ou échoue parce qu'il boit."


 Ce qui marque, tout d'abord, c'est le franc-parler de la romancière. De l'ironie, expliquera-t-elle lors d'une rencontre à Paris. Une petite pointe grinçante, qui peut choquer, mais qui offre une nouvelles dimension à telle lecture. En effet, ici, le sujet n'est pas joyeux, c'est même son contraire : le deuil d'un père, les remémorations, l'organisation des funérailles, la relation avec les proches face à l'épreuve, le tri dans la maison... Anne Pauly n'omet rien, et en parle sans filtre, le plus simplement possible. Le lecteur ne ressent pas ici que l'émotion (même si elle reste évidemment très palpable) est influencée par ce décès. En effet, si l'on a évidemment la tristesse, on constate dès le synopsis que le père n'est pas tout blanc. Son aspect plus sombre, son alcoolisme, sa violence parfois, sont autant évoqués que sa bonne humeur, ses habitudes touchantes, sa sensibilité à certaines cultures proches du bouddhisme. Anne Pauly brosse ainsi un portrait touchant, nuancé, intimiste sans toutefois tomber dans un voyeurisme, dans un aspect privé que je craignais avant de débuter cette lecture. Elle arrive de plus à faire sourire, voir rire son lecteur, avec quelques remarques et dialogues bien senties. Le texte est ainsi loin d'être lourd et difficile, malgré le sujet et les apparences. Terminé en une soirée, en ce qui me concerne, après être passé par une salve d'émotions, de réflexions. Une grande claque, disais-je en introduction, une grande claque...

Ce texte peut avoir plusieurs couches de lecture, c'est d'ailleurs ce qui rend sa durée de vie inestimable. Découvert en pleine adolescence, il peut être le plus fidèle compagnon de chevet d'une jeune personne confrontée au brutal décès de ses parents ou d'un proche. Par cette démonstration fidèle, détaillée, riche en émotions, Anne Pauly offre une lumière, un repère auquel s’agripper pour comprendre une telle épreuve, pour se comprendre soi-même. Beaucoup de lecteurs que j'ai croisé affirment que 'Avant que j'oublie' est une oeuvre essentielle, salvatrice pour cela. Toutes les étapes du deuil y sont travaillées à travers le témoignage de la romancière. Ainsi, le texte peut aussi servir à prendre du recul, à voir comment chacun réagit face à la mort, à cette grande question à laquelle personne n'a de vraie réponse. En offrant un peu plus d'elle-même, elle offre également quelques éléments pour que le lecteur  comprenne. Beaucoup de réflexions découlent ainsi de ce texte. Pour cette raison, il fait l'objet d'une longue digestion, où il arrive au lecteur de relire quelques passages, tantôt pour sourire, pour réfléchir, pour se souvenir. C'est aussi ce qui détermine un bon roman d'un grand roman. Celui-ci, avec le temps, rentrera dans la catégorie des grands romans, et plus particulièrement dans le genre autobiographique. 



"(…) on ne pouvait pas vraiment lui en vouloir d'avoir peur de vivre parce que, à tout instant, il pouvait en mourir."


Le titre est évocateur. L'oeuvre possède un fil conducteur intéressant. On navigue dans les souvenirs d'Anne Pauly, comme au milieu d'un rayonnage empli de romans d'aventures, ou au milieu d'un gigantesque album photo. Les descriptions, les dialogues, les comportements évoqués sont très visuels, ce qui facilite à bien des égards la lecture. Le roman est saccadé en paragraphes, plutôt qu'en véritables chapitres. Le découpage est ainsi plutôt temporelle, on sautille d'un moment de vie à l'autre, à travers les étapes du deuil, de l'organisation des funérailles, du débarrassage de la demeure du vieil homme. J'ai souvent comparé ce texte à une discussion, comme si chaque lecteur avait demandé personnellement à la romancière de livrer ses souvenirs à propos de son paternel. Voici ce qu'elle nous rapporter, avant d'oublier au fil des ans et des événements de quoi était humainement constitué son père. 'Avant que j'oublie' en est le résultat, un gigantesque puzzle relationnel et émotionnel. Une grande surprise. 







 Immersion intimiste, 'Avant que j'oublie' est un texte très marquant. Les détails de cette relation complexe fille-père, à travers des parties de vie, des objets, des discussions, offrent aux lecteurs la possibilité de réfléchir et de comprendre un peu plus ce qu'est un deuil, et ce qui le constitue. Le roman est réaliste, très abondant en émotions, que ce soit la tristesse, la consternation, mais aussi le rire et le bien-être. La possibilité d'une relecture future est absolument à considérer, en tant qu'aide face à la mort d'un proche, ou encore en tant qu'aide pour se comprendre soi-même. Tous ces éléments font de ce premier roman un grand roman, maîtriser de bout en bout par une sympathique Anne Pauly, qui se livre, se délivre et nous délivre également. Une lecture poignante, marquante et surprenante !

jeudi 14 mai 2020

Une immersion historique et psychologique : La terre invisible d'Hubert Mingarelli

Auteur : Hubert Mingarelli

Maison d'édition : Buchet Chastel

Nombre de pages : 182 pages

Année de sortie : 2019




Dans l'Allemagne occupée, un photographe de guerre ne parvient pas à s'en aller et à rentrer chez lui en Angleterre. Il est hanté par la libération d'un camp de concentration à laquelle il a assisté.
Il décide de partir au hasard des routes. Il photographiera les gens de ce pays devant leur maison dans l'espoir de comprendre qui ils sont pour avoir pu laisser faire ce qu'il a vu.

Un jeune soldat anglais, qui vient juste d'arriver et qui n'a rien vécu de la guerre, l'escortera et conduira la voiture réquisitionnée à travers l'Allemagne sans deviner les motivations qui poussent le photographe. Mais lui aussi porte un secret plus intime qui le hante et dont il ne parle pas. 

La Terre Invisible raconte leur voyage. 







Titre mystérieux, couverture inquiétante, thème historique. Pour cette fois, je me suis autorisé la lecture de la quatrième de couverture, pour savoir où je me lançais. Au vu du traitement de ce thème délicat qu'est la Shoah, je peux dire que je m'attendais juste à quelque chose de... Différent. Et j'ai été servi, mieux, beaucoup mieux que je n'aurais pu le croire. 






"L'écho du coup de feu semblait graver l'air, semblait s'en aller et revenir, sans arrêt, comme un orage qui aurait tourné autour de la Terre." 



'La terre invisible' est un texte minimaliste et subtil. Le traitement du thème, à savoir le génocide juif et tzigane pendant la seconde Guerre Mondiale, est tout a fait novateur, travaillé autour de l'ambiance, de la gestuelle, des agissements, de la psychologie des deux personnages et des habitants qu'ils croiseront sur leur route. Aucun combat, aucune description méthodique et détaillée des camps ne sont proposés ici. La lecture est beaucoup plus fine que ça. On se trouve plongé dans un voyage dont il est très difficile de cerner le but, l'objectif, et même l'itinéraire. Quelques notions clés : photos, visages, habitants, et c'est tout. Très vite, la voiture d'O'Leary nous emporte aussi dans cet aller-retour dans La terre invisible (Qu'elle est-elle au juste, cette Terre Invisible ?). L'ambiance est bien travaillée, c'est peut-être l'élément qui marque le plus à la lecture du texte. Les descriptions sont courtes, mais les mots soigneusement choisis, et, à travers leur signification, plongent le lecteur dans une hébétude, un désarroi, un sentiment d'absurde absolu. Les questionnements mêmes, les "Pourquoi ?" s'évanouissent, car l'on ressent le besoin puissant, au même titre que les protagonistes, de continuer à faire défiler les pages. C'est comme une rédemption, une tentative de compréhension décidée par un élément inconnu de l'équation. Ce voyage, cette lecture même, est importante, mais pourquoi ? Comprendre l'incompréhensible ? Voir ce qui paraît invisible ? Sans doute, oui. Ce roman, c'est voir, dans cet ambiance, dans ces personnages, comment, d'une façon invisible, et déjà en 45, l'horreur de la guerre, l'horreur de ces crimes nazis ont marqué non pas seulement ceux qui les ont subis, mais ceux qui en ont été témoins. C'est voir comment l'on réagit face à cette horreur mise à jour et exacerbée. C'est presque un deuil de l'humanité qui est porté ici, aussi bien par les voyageurs, que par les familles et le lecteur. C'est cette psychologie travaillée et finement amenée, qui fait que le lecteur plonge dans ce texte. On pourrait comparer ces sensations, ces émotions à celles de la lecture de 'L'Etranger' de Camus. Nous sommes tous un peu Meursault ici, tous absurdes sur la Terre Invisible. 



"Nous venions de parler un peu, mais dans le fond le silence nous enveloppait." 


Les personnages relèvent de ce même acabit. S'ils dégagent quelque chose, il est difficile de savoir ce qu'est ce "quelque chose" exactement. On ne peut ni s'identifier, ni s'attacher au narrateur ou à son chauffeur O'Leary, tout simplement car on ne peut véritablement les comprendre. Hubert Mingarelli propose ainsi des personnages qui, sans être tout à fait des antagonistes, restent de véritables étrangers pendant la lecture (vous comprenez encore mieux le parallèle avec l'oeuvre de Camus ?). Souvent, pendant ce voyage, le lecteur a la sensation de voir deux solitudes qui s'entrechoquent, se touchent, sans se mêler, comme l'huile et l'eau. Dans ces moments, on sent que chacun des deux principaux protagonistes a son petit jardin secret, ses non-dits, et ce alors même que le récit est à la première personne. On assiste ainsi aux réactions impulsives, ainsi qu'aux choix dénués de sens de ce narrateur qui dit "je", mais qui reste "tu" pour le lecteur. Ce silence est encore plus pesant avec O'Leary, qui cache à fleur de peau un secret qu'on a l'impression vague de saisir, sans pour autant être capable de le clarifier. Le tout est très minimaliste, et ces personnages sont en grande partie suggérés par le romancier. Le lecteur est invité à saisir le narrateur, le chauffeur, et à les modeler selon la compréhension qu'il a du texte. Et cela est encore plus vrai avec la variété de profils rencontrés pour les clichés, qui ont des réactions hétérogènes, voire complètement opposées. Les personnages complètent ainsi bien l'intrigue, en un mélange subtil de constatation et de réflexion, accentuées par la plume de Mingarelli. 



"Il ne restait presque rien, vaguement un bois, une rivière, un pont. On aurait dit que tout s'était refermé au fur et à mesure que je le dépassais." 


Auteur de romans et de recueils de nouvelles, la bibliographie enrichie de Mingarelli parle pour lui. Il réussit ici à nouveau un grand tour de force, avec ce formidable alliage dans le texte de personnages ressemblant et complétant cet intrigue, ce voyage à travers une Allemagne dévastée. Plus encore, le romancier provoque cette hébétude avec des petits mots, des phrases anodines, sur une expression de visage, une réflexion ou un paysage, le tout faisant ressortir l’incompréhension et l'absurdité post-découverture de guerre. Je n'ai, à titre personnel, jamais eu autant la sensation de comprendre l'effroi, l'absurdité de tous face au fait accompli. Et par la même occasion, de me comprendre moi et mon attitude face à la Shoah. L'ambiance pesante est telle, que la fin du texte plonge dans un état second, entre consternation et réflexion. C'est ce qui rend le texte aussi important, de nos jours encore plus qu'avant. Hubert Mingarelli a mis des mots là où on ne l'attendait pas, et c'est ce qui rend l'ouvrage marquant, et unique en son genre







Hubert Mingarelli, avec ce texte, a don de marquer les esprits. Avec ce voyage à travers la psychologie de ses personnages et du monde de manière générale, l'auteur instaure très vite une ambiance absurde, de désarroi face au fait accompli : la Génocide. Sans jamais décrire les combats ou les camps, le texte fait passer toute sorte de réflexion, de constatation à propos de la vie après cette découverte, qui a changé l'humanité au plus profond d'elle-même. Le lecteur autant que le narrateur et le chauffeur O'Leary, parvient à saisir cela. Les protagonistes ne sont ni attachants, ni compréhensibles, mais ce n'est pas ce qui importe ici. La plume de l'auteur, subtil et suggestive, correspond parfaitement au message passé. Remarquable, mais qui ne conviendra pas à tous les publics pour son haut degrés de lecture, une chose est sûr : ce texte ne laisse pas indifférent, et vous marque au fer rouge de l'emprunte de la Terre Invisible.

samedi 25 avril 2020

Un roman social : Soeur d'Abel Quentin

Auteur : Abel Quentin

Maison d'édition : Editions de l'Observatoire

Nombre de pages : 250 pages

Année de sortie : 2019






Adolescente revêche et introvertie, Jenny Marchand traîne son ennui entre les allées blafardes de l'hypermarché de Sucy-en-Loire, sur les trottoirs fleuris des lotissements proprets, jusqu'aux couloirs du lycée Henri-Matisse. Dans le huis-clos du pavillon familial, entre les quatre murs de sa chambre saturés de posters d'Harry Potter, la vie se consume en silence et l'horizon ressemble à une impasse.


La fielleuse Chafia, elle, se rêve martyre et s'apprête à semer le chaos dans les rues de la capitale, tandis qu’à l'Élysée, le président Saint-Maxens vit ses dernières semaines au pouvoir, figure honnie d'un système politique épuisé. 

Lorsque la haine de soi nourrit la haine des autres, les plus chétives existences peuvent déchaîner une violence insoupçonnée.





Roman à la thématique actuelle, et plutôt tabou dans la société qui est la nôtre, le premier roman d'Abel Quentin fût un mystère pour moi, du titre au résumé, en passant par la couverture. Intrigué, je me suis laissé tenter par une lecture pas comme les autres, au but autant immersif qu'informatif. Précisons. 






"J'ai eu la naïveté de penser qu'on pouvait apprivoiser une bête sauvage."


Le récit est une plongée au coeur de la vie de Jenny, une adolescente timide, en marge d'une société qui ne la comprend pas, et qui va la transformer intégralement et définitivement, comme une longue descente aux enfers. L'auteur, avocat de métier ayant déjà été confronté dans sa vie professionnelle à des cas de radicalisation plus ou moins similaires, s'en sert très bien ici. Le processus dit de "radicalisation" est décrit finement et subtilement. Le lecteur est un témoin privilégié de toutes ces petites choses, ces éléments qui composent un quotidien qui pèse, qui déplait, et qui font que lentement, Jenny, presque malgré elle et inconsciemment, bascule. C'est quelque chose que j'étais venu chercher dans ma lecture, et qui ne se dérobe pas. Le texte aide à comprendre, à travers l'exemple concret de l'adolescente, comment une telle chose est possible dans le monde contemporain, sans pourtant prendre un parti quelconque, juste en décrivant et expliquant le phénomène. Si cet aspect peut sembler ennuyant en surface, le roman ne perd pas en interêt, au contraire, et monte même en tension au fur et à mesure. L'immersion se fait plus forte. Le récit prend le parti de se développer à travers plusieurs personnages clés : le président Saint-Maxens, Jenny bien sûr, mais aussi Dounia, autre personnage clé. S'il n'est pas bien difficile de deviner où le romancier veut emmener le lecteur avec ses protagonistes, il ne soulève pas moins quelques lourdes interrogations, qui nous poussent à aller toujours plus loin. Le suspens est bien travaillé. Les choses se précisent rapidement, ce qui nous permet d'obtenir une longueur d'avance, et donc d'être plus attentif au futur de chacun des personnages du texte. La présence de nombreux passage traitant de politique au sein du récit n'est pas non plus dérangeant, permettant un scanner sociologique important et très réaliste de la société. Si 'Soeur' prend un parti ambitieux de partir de plusieurs points différents, tout en traitant à la fois de la radicalisation et de la politique française, il n'en perd pas son goût immersif, ni même la consistance de son intrigue, qui pousse protagonistes et lecteurs à aller toujours plus loin, jusqu'au bout. 




"C'est si agréable d'être complice et de s'entendre sur tout (…)"


Le début du roman m'a quelque peu décontenancé : j'ai eu peur de me retrouver face à des personnages un peu trop stéréotypés pour provoquer un réel attachant ou intérêt, ce qui aurait considérablement handicapé ma lecture. En effet, il n'est pas si dur de comparer l'attitude, la lassitude politique de Saint-Maxens à la fin d'un mandat du président Chirac ou de François Hollande. Le premier ministre serait alors un presque-évident, sur quelques aspects ambitieux Macron, mais surtout un futur président Sarkozy. Pour Jenny, la peur de me trouver face à une adolescente stéréotypée a vite laissé place à la compassion, voir à l'attachement. Abel Quentin a su la rendre plus réelle, plus consistante, en n'hésitant pas à décrire ses angoisses, ses peurs, voir tantôt un semblant de regret ou d'hésitation (que dire de la montée finale, où chaque page correspond à une augmentation de 10 battements), mais surtout en lui attribuant cette passion pour Harry Potter. Elle y gagne de la crédibilité et ça fait d'elle une jeune très moderne (qui, parmi les adolescents/jeunes adultes, n'aime pas Harry Potter ?). L'auteur en profitera d'ailleurs pour faire quelques parallèles très intéressants, ainsi qu'une magnifique phrase finale. Si Jenny a su gagné le coeur des lecteurs, il n'en est une autre, absolument détestable, mais nécessaire : Dounia. La quatrième de couverture parle d'une fileuse, et ce terme la décrit parfaitement. Essentielle dans le processus de radicalisation, autant physique que psychologique. Là encore, par des tics de langage, par des idées qu'elle proclame haut et fort, Abel Quentin fait de ce qui aurait pu être un cliché un personnage formidablement symbolique. Même les parents sont assez détaillés dans leurs attitudes, la tentative d'acceptation de la mère, le déni du père, pour être rendus réels et attachants. Ces protagonistes font, d'une façon générale, que le texte d'Abel Quentin est plus qu'un simple exposé sur la radicalisation et la politique. Ils font de ce roman un roman, par leur simple existence, et leur contribution à l'intrigue. Ils ne sont pas un ramassis de clichés, plus allégoriques qu'autre chose, mais sont des symboles, et font que le lecteur comprend les enjeux du récit, plus encore qu'à travers l'intrigue et l'histoire. 




"La violence est une libération…" 



On sent, pour finir, que la plume de Quentin est une plume disons, professionnelle. Le travail de documentation, de lecture de témoignages, de différents cas que l'auteur aurait pu avoir à traiter au tribunal, se fait sentir, que ce soit dans le traitement des thèmes du texte, ou dans le traitement des personnages. En effet, le romancier bien su décrire et expliquer les arguments de Chafia pour persuader Jenny, ou même décrire la psychologie destructrice de cette dernière. La maîtrise du sujet est autant à souligner que celle de la montée finale du texte, dans Paris. On s'interroge jusqu'au bout. Le récit s'emballe à la fois brusquement et progressivement, là où l'on était dans une logique explicative plutôt lente auparavant, logique qui ne plaira pas à tout le monde, notamment aux amateurs d'action pure, qui seraient venus chercher ici une aventure pleine de rebondissements au fond de la Syrie extrémiste. En revanche cette plume plus détaillée ravira les avides de psychologie, qui aiment voir la profondeur des protagonistes et le dessin progressif des enjeux. Le roman, vous l'aurez compris, est donc relativement contrasté, passant du tout au rien, ou de rien au tout, selon point de vue. C'est ce qui fait son charme, ou qui déplaira, pour sûr. 









Premier roman ambitieux au sujet difficile, 'Soeur' offre un point de vue explicatif très détaillé du processus de radicalisation, sur un fond politique soigné et passé aux scanners. Si l'on peut penser avoir à faire à des protagonistes clichés, pour rentrer dans les stéréotypes sociétaux, il n'en est rien. Abel Quentin offre une consistance, une personnalité et un caractère travaillé à tous ceux qu'il met en scène, de façon à provoquer attachement ou hostilité. La plume largement documentée (témoignages, univers professionnelle de l'auteur...) et subtile contribue à rendre ces personnages plus symboliques encore. Le texte, par le pari qu'il prend, ne plaira toutefois pas à tous les publics : tout dépend de ce que le lecteur recherche. Il n'en reste pas moins un incontournable texte actuel, passage obligé si l'on veut s'éclairer sur ce qu'engendre le monde en ce moment même.

dimanche 19 avril 2020

Un classique comique et complexe : Pourquoi j'ai mangé mon père de Roy Lewis


Auteur : Roy Lewis

Maison d'édition : Babel éditions

Nombre de page : 172 pages

Année de sortie : 1996 





Roy Lewis nous conte de façon humoristique les efforts de nos ancêtres les primates dans leur lutte acharnée pour la survie et la prospérité de l'espèce. Ces ancêtres se trouvent à la croisée des chemins, face à une nature hostile et à une foule de prédateurs. Un tournant de l'évolution qu'il est crucial de négocier en douceur sous peine d'extinction. C'est ce moment que choisit Edouard, hominien à l'esprit éclairé, pour découvrir le feu. Une trouvaille qui sauve la famille, certes, mais déplaît fort à son frère Vania, qui prédit la fin du monde, milite pour la viande crue et le retour dans les arbres...





Oeuvre classique de longue date, lue il y a un petit moment déjà, dans ma démarche de découverte des grands classiques d'outre atlantique de la seconde moitié du XXème siècle. Il succède à 'Ne tirez pas sur l'oiseau moqueur' et 'L'attrape-coeur'. Avec une démarche mi-comique, mi-scientifique, j'étais promis à une lecture plutôt atypique. Et je n'ai pas été déçu, loin de là. 




"On n'apprend que par expérience."


L'oeuvre est inattendue, riche et complexe. Roy Lewis, à l'aide de cette famille haute en couleur, offre une comédie mi-satyrique mi-comique, qui, sous ses aspects légers, soulève bien des constats et des remarques pertinentes qui font encore l'actualité en 2020. Le lecteur se trouve plongé à la première personne dans cette famille plus ou moins typique de l'âge de pierre. Dès les premières pages, le ton est enlevé, teinté d'un humour fin, basé sur le décalage entre l'époque des personnages et leur façon de parler. L'auteur fait preuve d'une remarquable subtilité dans les descriptions des lieux, des façons de vivre, de chasser, de se déplacer. Là où le texte pourrait sembler être au premier abord une caricature vulgarisée, il n'en est rien. Le travail de documentation se fait sentir. De plus, le thème abordé se conjugue parfaitement à l'atmosphère prôné par Roy Lewis : le progrès. En effet, quoi de plus absurde, décalé pour l'époque, que l'idée de progrès ? Et pourtant, la découverte du feu, crédible d'autant plus, change tout. D'aventures en aventures, le lecteur se trouve plonger au coeur de ce dilemme de la plus haute importance : faut-il partager cette trouvaille ? De fil en aiguille, Ernest, le deuxième fils d'Edouard, se trouve témoin privilégié des questionnements, des expérimentations de son père, qui place parfois ses désirs devant ceux de sa famille. Ce dernier est capable de mettre en danger sa tribu et sa famille pour comprendre et faire avancer la science (peut-on toutefois parler de sciences ?) Il en résulte une histoire admirablement construite, où il n'y a pas de temps mort, car même au-delà des aventures de la fratrie et du paternel, des questionnements, des discussions subsistent pour le lecteur comme pour les personnages. Le tout est saupoudré d'un humour bien senti, qui fait que le texte ne devient jamais lourd et lisse, qui se contenterait d'une simple hypothèse sociologique d'époque. 


"Tu te flattes de savoir penser, mais c'est une illusion, car le registre de nos connaissances est beaucoup trop étroit."


De plus, les couches de lecture sont subtiles mais restent abordables. En effet, derrière la mise en scène de cette joyeuse comédie préhistorique, l'auteur met en exergue les enjeux politiques, les opinions naissantes, les prémices d'une future société. Chaque lecteur peut ainsi se retrouver dans les réflexions et les arguments de tel ou tel personnage, car ces derniers ont un avis tranché, marqué, qu'ils sont prêts à défendre coûte que coûte, tel des politiciens. Le texte revêt un aspect actuel inattendu. On trouve ainsi Vania l'opposant, conservateur dans l'âme qui aimerait retourner à l'âge où les hominiens restent haut perchés dans leurs arbres, face à Edouard, son frère progressiste, qui est pour l'avancée technologique et le partage à tous. Grâce à ces points de vue, on trouve des protagonistes fouillés, aussi admirables que détestables. Cette consistance les rend digne d’intérêt pour le lecteur. Les fils, s'ils ne sont pas les plus attachants, représentent les points d'encrages de l'auteur, ses caméras, en quelque sorte. Prenant rarement parti, marionnettes des expériences tordues de leur père, ces derniers subissent un peu les événements, bien que, et ça se vérifie à la fin du récit, ils peuvent se trouver parfois opportunistes et savent se débrouiller pour saisir leur chance. Tous ces personnages sont ainsi ce qui forme et fragmente l'intrigue. Ils évoluent au rythme des opinions et des remarques de chacun, et la lecture actuelle du texte les rend d'autant plus digne d’intérêt. Ils sont le point fort du roman, sans aucun doute.


"Notre grand-père, disait-il, se serait retourné dans sa tombe, laquelle se trouve à l'intérieur d'un crocodile"


Enfin, Roy Lewis poursuit et termine son tour de force avec une plume des plus atypiques. Première remarque, ce titre absolument génial ! Quoi de mieux, en effet, que de donner dès le titre la fin aux lecteurs potentiels de l'oeuvre, de façon à éveiller leur curiosité, et donc leur envie de découvrir les raisons qui ont poussé Ernest à manger son père. Cet intitulé, aussi génial que drôle, n'est qu'un petit aperçu de ce que l'on peut trouver dans le texte : des tics de langage à souhait, si bien que l'on croirait entendre un oncle éloigné saoul en repas de famille, mais aussi des gestes (pour tester le feu par exemple), des caractères (l'opposition entre Vania et Edouard) et des situations (se retrouver perdu en forêt ou sur le territoire d'une autre tribu). Ce n'est que plusieurs semaines après avoir terminé ma lecture que je me suis rendu compte que Roy Lewis reprenait les codes du théâtre de comédie classique, avec ces quatre types de comique. Cette diversité fait que l'oeuvre peut plaire à n’importe qui, car chacun trouvera sa dose de rire à un moment donné. Toutefois, l'humour de l'oeuvre ne fait en rien perdre la qualité de narration, et encore moins celle de description quasi scientifique de l'auteur. C'est une plume vraiment complète, qui se marie bien au reste du texte, et qui le parfait, sans aucun doute.





Pour conclure, ce texte a été une vraie claque sur bien des points. Les personnages fouillés, au comportement similaire à ceux de notre société, rendent le texte actuel, consistant et complexe. Ces protagonistes offrent une intrigue riche et palpitante aux nombreux rebondissements, décrits avec humour et précision par Roy Lewis, qui offre ce très bon cocktail. C'est un classique à découvrir de toute urgence, à parti de l'adolescence !

mardi 14 avril 2020

Un récit de vie poétique : Le ciel par-dessus le toit de Natacha Appanah

Auteur : Natacha Appanah 

Maison d'édition : Gallimard

Collection : Collection NRF

Nombre de pages : 128 pages 

Année de sortie : 2019





«Sa mère et sa soeur savent que Loup dort en prison, même si le mot juste c'est maison d'arrêt mais qu'est-ce que ça peut faire les mots justes quand il y a des barreaux aux fenêtres, une porte en métal avec oeilleton et toutes ces choses qui ne se trouvent qu'entre les murs. Elles imaginent ce que c'est que de dormir en taule à dix-sept ans mais personne, vraiment, ne peut imaginer les soirs dans ces endroits-là.»


 


La poursuite de mon aventure au sein de la sélection du Goncourt s'est faite avec ce court texte de Natacha Appanah, romancière au nom évocateur. Le titre, référence direct à un poème que Verlaine a écrit pendant son emprisonnement, a su m'intriguer et me diriger vers cette histoire intense, atypique, violente, poétique. 




"Bon sang, comment faut-il la mener cette putain de vie pour qu'elle ne morde pas au quotidien ?"


Natacha Appanah offre un texte subtile, qu'il faut savoir savourer et apprécier sur le long terme. De nombreux thèmes y sont abordés, d'une façon plus ou moins surprenante. On se retrouve tantôt en prison, enfin en maison d'arrêt, avec le personnage principal de cette histoire, le poignant Loup, tantôt au sein de sa famille, avec sa mère Phénix, et sa soeur, Paloma. Le récit est haché, peuplé par les retours en arrière, démonstrations caractériels des personnages, fouillés jusqu'au plus profond d'eux-mêmes par les épreuves et les démonstrations de la vie. Poétique jusque dans les prénoms, la romancière offre ici un grand tour de force. Qu'il faut savoir apprécier à sa juste valeur. Ce qui le rend plus grand encore. 


"Cette nuit fond sur le jour en laissant des trainées roses, mauves et oranges. Ce ciel, par-dessus les toits, ressemble à un morceau de soie chatoyant."


Pourtant, l'oeuvre était loin de tutoyer les sommets, du moins au début. Si le manque d'entrain laisse place au bout d'une dizaine de pages à une lecture fluide du récit, la fin laisse un goût doux-amer, taillé par une unique question : " Tout ça pour ça ? Pourquoi ?" Des questions insignifiantes, pour une lecture en apparences vite oubliable. Pourtant, quelques jours, quelques semaines après, de discussions en réflexions, le livre dépasse le toit auquel il s'était arrêté pour prendre place dans le ciel. C'est une sensation des plus agréables, que de sentir une histoire monter petit à petit dans l'esprit. Loup, Phénix, Paloma, leur histoire. Si belle, si dure dans sa réalité, si belle dans sa relation. Natacha Appanah aborde en moins de 150 pages des thèmes sociétales actuels, difficiles, parfois tabous dans une société comme la nôtre, encore trop superficielle : l'emprisonnement, les relations familiales, l'éducation d'une mère envers ses enfants, des parents envers leur fille. Le tout travaillé sous un angle original ; l'évolution des personnages se fait en parallèle, on le comprend petit à petit. On découvre petit à petit cette femme, Phénix, que la vie n'a pas épargné, dans le présent comme dans le futur. Le travail d'écriture et d'immersion d'Appanah paie, au fur et à mesure. Le lecteur se trouve plongé, membre de la famille, ami le plus proche d'un Loup solitaire, d'une Phénix étincelante, mais dont la lumière brûle parfois ceux qu'elle aime. Le texte devient un petit cocon dans lequel on se meut, qui amortir les chocs, aussi. Et le tout se prolonge, bien après la lecture. L'oeuvre en ressort puissante, beaucoup plus quand lorsque l'on y entre. 


"Le coeur est à nettoyer chaque jour, après chaque épreuve."


Figures centrales du texte, les trois protagonistes se partagent la narration. L'auteur offre tantôt des ellipses sur le passé de Phénix, tantôt sur la vie de la petite famille (et des retours à lourd présent lié à l'enfermement de Loup, évidemment). L'émotion entoure ces moments de vie si simples et si intenses. Loup est le personnage principal de l'oeuvre, c'est aussi le plus mystérieux. En effet, comment le comprendre ? Dans son monde, très peu enclin à montrer ses émotions, il en provoque pourtant tellement autour de lui, de près comme de loin. Est-il malade ? Ou simplement simple d'esprit ? Rien de tout ça. Loup, c'est un mixe d'un peu tout ce qu'il côtoie, comme une éponge qui se gorge de l'eau de sa vie, sans jamais la troubler. Spectateur. Solitaire comme le laisse présager son prénom, qui paradoxalement semble lui aller si mal... Là est toute la subtilité de ces personnages, ce qui les rend aussi digne d’intérêt. Appanah, lors d'une rencontre parisienne à l'occasion du prix, résume d'ailleurs si bien la mère de Loup, Phénix : "Phénix ? C'est un personnage éclatant, mais qui ne brille pas.".  Tout le roman est empli par ces petites couches de lecture, ces petites doubles lectures légères, qui font la différence sur le long terme. Ce qui produit aussi cet effet de durée, de montée en puissance, aussi. 


"Qui dit que les choses sont écrites d'avance, qui dit que nous sommes des pantins et qui peut savoir comment la vie va se dérouler ?"


L'ultime subtilité, l'ultime paradoxe, c'est cette plume majestueuse comme un oiseau légendaire, ou un loup au pelage brillant. C'est avec cette écriture que le lecteur finit sans doute par entrer sans mal dans le texte. Pour aborder cette réalité très difficile, Natacha Appanah emploie un style fluide, des plus poétiques, qui coule tout seul sur le papier. Elle instaure dès les premières pages une ambiance particulière, qui ne disparait lors des ellipses qui se détachent de la réalité, bien au contraire. Elle prolonge ainsi la subtilité instaurée par le scénario et la construction des personnages, complétant ainsi un texte très riche, une lecture marquante car indéfinissable sur beaucoup de points : Mais que viens-je de lire ?







Un texte qui met du temps à démarrer, mais qui, sublimé par une construction scénaristique riche et intense, des personnages uniques et subtils, et une plume poétique à souhait, transmet aux lecteurs des émotions nouvelles, qui se prolongent bien après la lecture. 'Le ciel par-dessus le toit', par les thèmes, par ce qu'il est, ce qu'il représente, est une oeuvre définitivement à part, qui ne laissera personne indifférent, positivement ou négativement. Avons-nous seulement à faire à un roman, à une longue nouvelle, ou à un long poème ? A une expérience, pour sûr, mais la question reste légitime.

mercredi 8 avril 2020

Un roman d'une obscure-clarté : Comme un feu furieux de Marie Chartres


Auteur : Marie Chartres

Maison d'édition : L'Ecole des Loisirs 

Collection : Medium Max

Année de sortie : 2014

Nombre de pages : 165 pages 





Tout au nord de la Sibérie, au bord de l'Arctique, se trouve Tiksi, une ville dont la moitié des habitants sont partis. Que reste-t-il à présent ? Des maisons vides, la mer de glace, les jeux dans la neige, la magie des aurores boréales et de vieux hommes qui se souviennent de tout et parlent par énigmes.

Mais il y a aussi Lazar, l'enfant qui ne trouve pas le sommeil.

Et Gavriil, le poète qui ne parle plus.

Et puis il y a moi, leur soeur, Galya Bolotine, qui me débats avec ma silencieuse colère et mes rêveries océaniques. Moi qui voudrais comprendre ce qui se joue sous le ciel noir. Espérant le retour du brise-glace majestueux qui nous emporterait loin de cette étouffante immensité.





 L'Ecole des Loisirs a pour l'habitude d'innover et de mettre en avant différents styles littéraires dans ses abonnements scolaires mensuels (dont un classique par an !). Marie Chartres a beaucoup fait parler d'elle en 2017 avec cette oeuvre, dont la couverture est aux antipodes de ce que l'on peut trouver sur la 4ème de couverture (et dans le livre en général !). Bien que tombé dans les reliques de ma bibliothèque, ces dernières vacances furent l'occasion de m'y attaquer, pour un moment assez court, mais non pas des moins intenses. 




Le roman débute par une conversation pour le moins absurde entre Gayla, la grande soeur, et Lazar, le benjamin. Et immédiatement, le livre transporte. En une poignée de lignes, la romancière dévoile l'arrière-plan composant son récit : l'obscurité de Tiski, une petite ville glauque, enfoncée dans les landes gelées de Sibérie, au bord de l'Arctique. Un arrière-plan pesant, une atmophère oppressante et envahissante, qui touche l'esprit et le coeur. On se croirait précipité dans un jeu d'horreur, où le but est de survivre à ce mystérieux virus qui touchent les habitants de la ville. Un virus indescriptible, comme si la ville entrait dans les coeurs, et noircissait l'être entier. Et presque simultanément, on saisit tout l'enjeu du texte : 'Comme un feu furieux', le feu qui emplit les âmes et le coeur, le feu qu'il faut raviver et protéger, contre l'ennemi des personnages : Tiksi


"Tu ne peux pas survivre dans ce monde-ci. Tu ferais mieux de créer le tien."


L'histoire est construite grâce au passé. Le lecteur arrive alors que les protagonistes sont enfermés dans un quotidien malsain, dans le noir, toujours. Des ellipses sont proposés par la romancière, qui permettent aux lecteurs comme aux personnages d'évoluer dans le récit. On découvre ainsi plusieurs éléments de réponses quant à la famille de Gayla, la narratrice. L'intelligence du récit réside ici. Le lecteur, avide de questions, obtient des réponses. Marie Chartres n'est pas avare, et le but n'est d'ailleurs pas de laisser un suspens insoutenable quant au passé des personnages jusque dans les dernières pages du texte (ce qui n'aurait, à mon sens, aucun intérêt). Toutefois, très vite, on sent que l'enjeu est ailleurs. Avoir des réponses pour comprendre, se comprendre et comprendre les autres, c'est une chose. Les utiliser, c'en est une autre. Et c'est ce côté émancipateur qui m'a particulièrement touché. Cette lecture fût l'occasion de découvrir à quel point l'arrière-plan, le décor, le passé d'un personnage compte autant que ce qu'il est et paraît dans son présent


"Le Yamal était splendide dans la nuit de Tiksi, j'étais toujours aussi impressionnée."


Si Gayla, Lazar, Gavriil sont des versions évoluées d'eux-mêmes, ils le sont uniquement par défaut, et dans l'ignorance totale dans ce qu'ils auraient pu être si le feu avait brûlé et s'était consumé en eux. C'est un peu le sous-entendu qui découle de mes notes, et de ma mémoire, quelques temps après l'intensité de la lecture. Et, plus intéressant encore, est l'étude de nos pensées. En effet, pendant la première moitié de l'oeuvre, le lecteur est comme léthargique, envahi par Tiksi. Il devient habitant de la ville noire, et membre de la petite famille. Et c'est seulement au bout de ce temps donné qu'il se réveille, songeur, volontaire et décidé à se sortir de... Ca. Se connaitre permet aussi de reconnaitre ce qui est bon ou mauvais, et c'est aussi ce dont j'ai apprécié faire l'expérience aux côtés de Gayla. La jeune fille, narratrice du texte, est aussi celle que l'on connaît le mieux. La romancière a su en peu de temps lui offrir un peu de consistance, assez en tout cas pour permettre un certain attachement, et se dire proche d'elle aussi. Sans pour autant m'être identifié ou même avoir eu un coup de coeur pour elle, faire l'objet de ce réveil et de cet éveil à ses côtés fût sans aucun doute un bon moment. 


"J'ai fermé les yeux jusqu'à ce que le ciel déverse sa lumière."


Enfin, l'écriture est peut-être le point qui a su définitivement me convaincre de recommander cette oeuvre. Marie Chartres, même si j'ignore jusqu'à quel point elle s'est renseignée  sur Tiksi (voyage ? Textes ? Biographie ? Histoire ?), a su rendre tellement épais, dure, réelle l'obscurité et la dureté de la cité, que c'est sans doute le point que je retiens le plus de ma lecture, plusieurs semaines après la fin. L'ambiance était tellement puissante qu'on quittait réellement la pièce où l'on avait débuté la lecture. C'est avant tout ce qui m'a plu. De plus, la romancière sait parfaitement doser son intrigue, avec les révélations, les décisions et les retournements qui arrivent au bon moment, pile pour que l'on ne se laisse pas absorber définitivement par l'obscurité. 


"J'ai pensé que dans la vie la lumière se vexe quand on ne la caresse pas, quand on la désire plus."






Amateurs, amatrices d'une lecture d'un genre nouveau, vous ne serez pas déçus par ce roman, obscur, prenant, d'un genre tout nouveau pour ma part. Les personnages attachants seront vous convaincre autant que le scénario, qui ne manque pas à l'appel, fort heureusement. Le plus impressionnant reste ce cadre terrifiant et hypnotisant, le point fort de ce texte, à lire  à partir de 14 ans

jeudi 2 avril 2020

Atelier d'écriture de confinement : "Je ne perds jamais, soit je gagne, soit j'apprends."





« Comment pouvait-on diable voir une quelconque harmonie dans ces tiges de métal rouillés ? »

C'est la première phrase qui a échappé à Yves, le jour où Pierre lui a montré les croquis de ce projet pour le moins... Surprenant.

« Mais si, tu verras, j'ai déjà appelé deux ou trois copains, qui acceptent de se prêter au jeu. Aucun danger, tu me connais : on y met un harnais et un bon mousqueton, et aucun soucis ! »

« Attend, attend, attend... Donc si je saisi bien l'idée : tu comptes suspendre plusieurs dizaines de types, avec une sécurité qui laisse à désirer, à différents endroits que tu nommes des « points réalistes », pour qu'ils donnent l'impression d'être des ouvriers en action ? Dans le but grandiloquant de soi-disant démontrer comment l'Homme n'est qu'un animal parmi les autres, qui explore et construit sur son territoire pour le marquer ? Tout ça parce que Monsieur Pierre a eu une illumination en mattant deux ou trois vidéos de vulgarisation philosophique la veille ? Tu te fiches de moi ? » lui a vérocifiéYves.

« Oui ! La vidéo se finissait même par une citation notée en police noire : « je ne perds jamais, soit je gagne, soit j'apprends ». Sur la 5ème Symphonie de Beethoven. Une révélation, je te jure ! » a doucement chuchoté Pierre, comme un illuminé. Il a continué : « On aura même plusieurs dizaines de tiges en métal, et un grand mur de béton peint en blanc en fond, pour délimiter le territoire. Notre partie de l'exposition en pleine air va être un succès, tu peux me croire ! »

Et il faut bien admettre que, si il avait failli perdre de l'argent, Yves a vite appris de ses erreurs. La tenue de ces ouvriers, positionnés ainsi sur la musique de genie du compositeur allemand, a quelque chose de... Surprenant, un sentiment qu'il partage avec tout le monde autour de lui, pour sûr. 

Ce texte a été écrit pour la rubrique l'écriture au temps du corona de Bric a Book. La photo est de (c) Josué Isai Ramos. Le titre est une citation obligatoire a citer dans notre création.