dimanche 19 avril 2020

Un classique comique et complexe : Pourquoi j'ai mangé mon père de Roy Lewis


Auteur : Roy Lewis

Maison d'édition : Babel éditions

Nombre de page : 172 pages

Année de sortie : 1996 





Roy Lewis nous conte de façon humoristique les efforts de nos ancêtres les primates dans leur lutte acharnée pour la survie et la prospérité de l'espèce. Ces ancêtres se trouvent à la croisée des chemins, face à une nature hostile et à une foule de prédateurs. Un tournant de l'évolution qu'il est crucial de négocier en douceur sous peine d'extinction. C'est ce moment que choisit Edouard, hominien à l'esprit éclairé, pour découvrir le feu. Une trouvaille qui sauve la famille, certes, mais déplaît fort à son frère Vania, qui prédit la fin du monde, milite pour la viande crue et le retour dans les arbres...





Oeuvre classique de longue date, lue il y a un petit moment déjà, dans ma démarche de découverte des grands classiques d'outre atlantique de la seconde moitié du XXème siècle. Il succède à 'Ne tirez pas sur l'oiseau moqueur' et 'L'attrape-coeur'. Avec une démarche mi-comique, mi-scientifique, j'étais promis à une lecture plutôt atypique. Et je n'ai pas été déçu, loin de là. 




"On n'apprend que par expérience."


L'oeuvre est inattendue, riche et complexe. Roy Lewis, à l'aide de cette famille haute en couleur, offre une comédie mi-satyrique mi-comique, qui, sous ses aspects légers, soulève bien des constats et des remarques pertinentes qui font encore l'actualité en 2020. Le lecteur se trouve plongé à la première personne dans cette famille plus ou moins typique de l'âge de pierre. Dès les premières pages, le ton est enlevé, teinté d'un humour fin, basé sur le décalage entre l'époque des personnages et leur façon de parler. L'auteur fait preuve d'une remarquable subtilité dans les descriptions des lieux, des façons de vivre, de chasser, de se déplacer. Là où le texte pourrait sembler être au premier abord une caricature vulgarisée, il n'en est rien. Le travail de documentation se fait sentir. De plus, le thème abordé se conjugue parfaitement à l'atmosphère prôné par Roy Lewis : le progrès. En effet, quoi de plus absurde, décalé pour l'époque, que l'idée de progrès ? Et pourtant, la découverte du feu, crédible d'autant plus, change tout. D'aventures en aventures, le lecteur se trouve plonger au coeur de ce dilemme de la plus haute importance : faut-il partager cette trouvaille ? De fil en aiguille, Ernest, le deuxième fils d'Edouard, se trouve témoin privilégié des questionnements, des expérimentations de son père, qui place parfois ses désirs devant ceux de sa famille. Ce dernier est capable de mettre en danger sa tribu et sa famille pour comprendre et faire avancer la science (peut-on toutefois parler de sciences ?) Il en résulte une histoire admirablement construite, où il n'y a pas de temps mort, car même au-delà des aventures de la fratrie et du paternel, des questionnements, des discussions subsistent pour le lecteur comme pour les personnages. Le tout est saupoudré d'un humour bien senti, qui fait que le texte ne devient jamais lourd et lisse, qui se contenterait d'une simple hypothèse sociologique d'époque. 


"Tu te flattes de savoir penser, mais c'est une illusion, car le registre de nos connaissances est beaucoup trop étroit."


De plus, les couches de lecture sont subtiles mais restent abordables. En effet, derrière la mise en scène de cette joyeuse comédie préhistorique, l'auteur met en exergue les enjeux politiques, les opinions naissantes, les prémices d'une future société. Chaque lecteur peut ainsi se retrouver dans les réflexions et les arguments de tel ou tel personnage, car ces derniers ont un avis tranché, marqué, qu'ils sont prêts à défendre coûte que coûte, tel des politiciens. Le texte revêt un aspect actuel inattendu. On trouve ainsi Vania l'opposant, conservateur dans l'âme qui aimerait retourner à l'âge où les hominiens restent haut perchés dans leurs arbres, face à Edouard, son frère progressiste, qui est pour l'avancée technologique et le partage à tous. Grâce à ces points de vue, on trouve des protagonistes fouillés, aussi admirables que détestables. Cette consistance les rend digne d’intérêt pour le lecteur. Les fils, s'ils ne sont pas les plus attachants, représentent les points d'encrages de l'auteur, ses caméras, en quelque sorte. Prenant rarement parti, marionnettes des expériences tordues de leur père, ces derniers subissent un peu les événements, bien que, et ça se vérifie à la fin du récit, ils peuvent se trouver parfois opportunistes et savent se débrouiller pour saisir leur chance. Tous ces personnages sont ainsi ce qui forme et fragmente l'intrigue. Ils évoluent au rythme des opinions et des remarques de chacun, et la lecture actuelle du texte les rend d'autant plus digne d’intérêt. Ils sont le point fort du roman, sans aucun doute.


"Notre grand-père, disait-il, se serait retourné dans sa tombe, laquelle se trouve à l'intérieur d'un crocodile"


Enfin, Roy Lewis poursuit et termine son tour de force avec une plume des plus atypiques. Première remarque, ce titre absolument génial ! Quoi de mieux, en effet, que de donner dès le titre la fin aux lecteurs potentiels de l'oeuvre, de façon à éveiller leur curiosité, et donc leur envie de découvrir les raisons qui ont poussé Ernest à manger son père. Cet intitulé, aussi génial que drôle, n'est qu'un petit aperçu de ce que l'on peut trouver dans le texte : des tics de langage à souhait, si bien que l'on croirait entendre un oncle éloigné saoul en repas de famille, mais aussi des gestes (pour tester le feu par exemple), des caractères (l'opposition entre Vania et Edouard) et des situations (se retrouver perdu en forêt ou sur le territoire d'une autre tribu). Ce n'est que plusieurs semaines après avoir terminé ma lecture que je me suis rendu compte que Roy Lewis reprenait les codes du théâtre de comédie classique, avec ces quatre types de comique. Cette diversité fait que l'oeuvre peut plaire à n’importe qui, car chacun trouvera sa dose de rire à un moment donné. Toutefois, l'humour de l'oeuvre ne fait en rien perdre la qualité de narration, et encore moins celle de description quasi scientifique de l'auteur. C'est une plume vraiment complète, qui se marie bien au reste du texte, et qui le parfait, sans aucun doute.





Pour conclure, ce texte a été une vraie claque sur bien des points. Les personnages fouillés, au comportement similaire à ceux de notre société, rendent le texte actuel, consistant et complexe. Ces protagonistes offrent une intrigue riche et palpitante aux nombreux rebondissements, décrits avec humour et précision par Roy Lewis, qui offre ce très bon cocktail. C'est un classique à découvrir de toute urgence, à parti de l'adolescence !

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