vendredi 13 septembre 2019

Roman classique, novateur et déroutant : L'Attrape-coeurs de J.D Salinger

Auteur : J.D Salinger

Maison d'édition : Robert Laffont

Collection : Pavillons Poche

Nombre de pages : 250 pages

Année de sortie : 1961




Non-présent au dos de l'oeuvre et relativement introuvable sur internet, l'auteur reste désireux de préserver quelque mystère sur le contenu.


Parler d'OVNI pour désigner ce roman de J.D Salinger serait ici considérer comme un euphémisme. En effet, cette oeuvre, qui est désormais un classique américain du XXème siècle, a pourtant tout pour énerver. Cassant les codes du personnage comme du langage, le roman a pour mérite de ne laisser personne indifférent face à sa composition ! Longtemps refoulée mon envie de le découvrir, je m'y suis attelé pendant mes vacances, et quelle ne fût pas ma surprise ! Parlons-en un petit peu plus en détail si vous le voulez bien. 




C'est à contre-coeur que je vais devoir vous fournir plusieurs éléments que Salinger aurait pour sûr désiré que je garde secrets, dans le but d'une éventuelle lecture. Mais je crois qu'il est important d'analyser ce bouquin, riche et précurseur à la fois. Analyser mais aussi présenter son ressenti dessus, car il peut autant plaire que se rendre détestable. Etre complet, en somme. 



Eh bien, commençons simplement. L'Attrape Coeurs présente la vie d'Holden, un jeune adolescent turbulent, à la situation familiale difficile, qui est viré de son lycée. Avant même ce départ forcé acté, à la veille des vacances de Noël, le jeune homme décide de fuguer. Le texte présente donc ces trois jours, de la fuite au jour de Noël. Trois jours qui seront décisifs dans la vie du jeune homme. Si on commence simplement, en restant très général, par le contexte et les thèmes abordés, ces derniers suffiraient à eux seuls à créer la controverse. En effet, d'après ces quelques éléments, vous pouvez aisément deviner que l'on ne touche pas ici au parfait petit citoyen d'outre-atlantique, dont la société américaine se préoccupait tant, même encore à notre époque. 



Holden est ce que l'on appelle un anti-héros, l'un des premiers, et l'un des plus marquants également. Ainsi, le roman, dans sa progression, plonge le lecteur dans des milieux tantôt violents, tantôt tabous. La prostitution, l'alcool sont par exemple des thématiques omniprésentes dans le récit. Ce dernier, linéaire et donc sans retour en arrière, propose non seulement des descriptions mais aussi des pistes de réflexion assez précises et innovantes dans leur genre. Si on analyse, on pourrait presque voir une volonté foncière de choquer et de délier les tabous de la part de Salinger, qui ne ménage pas ses mots, ni son personnage, qui subi littéralement sa vie pendant les quelques 72 heures qui suivent sa fuite, plus qu'il n'en profite, comme l'aurait laisser présager les premiers chapitres. Ces thèmes et ce contexte, si ils peuvent choquer, sont aussi intéressants dans l'effet qu'ils offrent au lecteur, puisque ce dernier se sent plus proche d'Holden mais aussi de son créateur. Ce dernier dira d'ailleurs que cet effet est complètement recherché avec l'Attrape-Coeurs : « Mon rêve, c'est un livre qu'on n'arrive pas à lâcher et quand on l'a fini on voudrait que l'auteur soit un copain, un super-copain et on lui téléphonerait chaque fois qu'on en aurait envie."




Poussons quelque peu notre réflexion, avant de passer au personnage d'Holden en lui-même. Le roman paraît en 61, plus d'une décennie après la Seconde Guerre Mondiale. En France, la littérature est marquée par l'engagement idéologique de personnages tels que Sartre mais aussi par l'innovation littéraire avec le mouvement Absurde de Camus (ce dernier est d'ailleurs en opposition forte et majeure avec le premier), Ionesco ou Beckett. Si l'on reprend notre ouvrage, et qu'on constate les véritables épreuves que subit Holden, qui sont en décalage tantôt avec ses réactions (absence de désespoir alors que le quart de ce qui arrive m'aurait poussé à me tirer une balle), on remarque directement que Salinger peut être sous certains auspices inscris dans le vaste genre de l'Absurde. A prendre avec des pincettes toutefois, Holden n'atteignant certainement pas le niveau de détachement vitale de Meursault, digne représentant du mouvement Absurde, étranger à sa propre vie. Peut-être pouvons-nous utiliser ces termes pour décrire l'évolution d'Holden dans sa fugue... A voir. 



Après ce court aparté, parlons plus en détails d'Holden. Là encore, Salinger m'en soit témoins, je suis désolé mais... Jeune homme en décrochage scolaire, issu d'une famille relativement aisé, il a une petite soeur à laquelle il tient beaucoup, personnage que l'on retrouve d'ailleurs dans les derniers chapitres du récit. Fumeur, il a une attitude provocante et sort complètement de la structure narrative et sociétale dont on a l'habitude, encore aujourd'hui, ce qui rend l'oeuvre intemporelle et contribue même à sa considération comme un classique du genre. Pour simplifier : Holden nous raconte son histoire d'un point de vue omniscient, comme si le lecteur lui rend visite et lui demande de raconter sa fugue, plusieurs années après. Il parle ainsi de façon très décontractée, avec les tics de langages qui lui sont propres, autre particularité sur laquelle nous reviendrons juste après. Il est donc, comme cité ci-dessus, un anti-héros parfait. Il ne fait aucune action vraiment correct dans la progression de sa fugue, et visite des milieux difficiles. Il parle relativement vulgairement, et paraît détaché de tout... Pas très convaincant, pour une future lecture ! J'étais exactement comme ça, et puis... Il y a un truc qui marche avec Holden. J'ignore quoi ou comment, mais sa façon de présenter toute chose de façon décalée, de rendre drôle des scènes presque dramatiques, de toujours provoquer la surprise chez le lecteur... Tout cela finit par le rendre attachant, à défaut de vraiment le comprendre, à moins d'être un ado vraiment difficile (et encore, celui-ci est vraiment particulier). On ressent au fur et à mesure une certaine proximité entre le lecteur et Holden, car on se rend compte qu'il ne nous cache rien. Si il manque souvent d'émotions, celles qu'il ressent nous sont réellement livrées. Le lecteur peut le connaitre et le comprendre quasi-parfaitement. Je connais peu de personnages aussi complet et aussi intime que l'a été Holden durant ma lecture. Jolie tour de force, et +1 point pour le réalisme de Salinger. 




Parlons écriture. Pour renforcer la construction de son protagoniste, l'auteur opte pour une écriture moins élégante certes, mais tout aussi profonde. On a affaire à un style très familier, avec des tics de langage et des onomatopées en tout genre. La plume est presque orale ici, comme si on s'adressait à nous de façon personnelle. Réalisme ? Nous y voilà ! Toutefois, le "vous" employé dès le premier chapitre par Holden pourrait être n'importe qui, ce qui attise la curiosité du lecteur, qui se sent visé et à la fois pas du tout. Avec cette plume, Salinger place son lecteur dans une position qui oscille entre la curiosité, le dégoût de la vie, mais aussi la réflexion sur les autres et sur soi-même. Il est capable de nous faire passer par une énorme palette d'émotions, tout en restant fidèle et linéaire dans son récit. L'immersion est totale, vous l'aurez compris. A noter qu'un tel style, certainement unique en son genre (il a dû être repris tout de même, jamais égalé, je pense, si jamais vous avez une suggestion ?), ne doit pas être facile à traduire en notre chère langue française. Il existe deux traductions bien différentes, selon mes informations. A vous de vous décider (la version que j'ai lue est celle en illustration de cette chronique). 



Eh bien, il va être temps pour moi de conclure cette chronique de ce bouquin définitivement pas comme les autres. J'aimerais juste terminer par ces quelques petits faits, que j'ai trouvés en regardant sur le net, avant de commencer à rédiger ce post. L'Attrape-Coeurs, en dehors de toutes ses qualités littéraires présentées au-dessus, possède aussi une véritable histoire avec le pays de l'auteur, à savoir les Etats-Unis. Là-haut, le livre est sujet à controverse, que ce soit pour l'écriture ou les aventures d'Holden, ou même ce dernier en lui-même. Ainsi, il est tantôt banni des programmes dans certains établissements scolaires, tantôt incontournable car l'analyse d'Holden est décrite comme essentielle pour beaucoup. Chapman, le tueur de John Lennon, avait sur lui un exemplaire de l'ouvrage lorsqu'il a tué le chanteur. Le roman était d'ailleurs dédicacé par le membre des Beatles. C'est aussi le roman favori de Bill Clinton. Tout cela prouve que L'Attrape-Coeurs a marqué les Etats-Unis de façon durable, et qu'il peut être considéré comme un classique. 





Ainsi s'achève cette longue chronique de ce classique. Si il a déjà été analysé et décortiqué, j'ai tenté d'y apporter ma vision des choses, tout en exprimant mon ressenti et en y ajoutant une pointe d'interprétation (La L, ça vous gagne). Je ne peux que vous recommander de lire ce bouquin, tant il est un OVNI. On pourrait en parler des heures durant. Un roman qui marque au fer rouge, comme on lit rarement ! 

P-S : Pas de citations, surprise totale ;-)