lundi 20 janvier 2020

Atelier d'écriture N°356 de Leiloona : Nuit d'ambiance à la Nouvelle-Orléans



La douceur de la trompette d'Armstrong emplissait l'espace. Mike, lunettes vissées sur le crâne, commence à siffloter, songeur. Une douce atmosphère règne, dans le petit studio, en banlieue de la Nouvelle-Orléans. Quelques pas retentirent dans le studio, outrageusement éclairé par des dizaines d'ampoules, qui chauffaient la pièce, rendant le moment un peu plus hors du temps. C'était le caméraman, un jeune type toujours très propre, qui revenait de sa pause cigarette et préparait le matériel, avec application et concentration. Mike, après être resté un moment à écouter les cliquetis des boutons de l'appareil, retourna à ses occupations. Il relut le script et empoigna sa perche. Louis, malade ce jour-là, lui laissait la lourde tâche du son, en ce jour de tournage de l'épisode pilote de la prochaine saison de la série. Un truc un peu marrant, un peu niais, mais qui plaisait pas mal outre-Atlantique. Les producteurs avaient signé pour une troisième saison, dont le tournage officiel ne débuterait que dans quelques semaines. Mike, scénariste de métier, prenait très à coeur ce nouveau défi, lui, brillant auteur de cinéma dans le passé. Et igné son, à ses débuts. Il sourit en y repensant. Regard vers la fenêtre. La pluie ne cessait de tomber ces dernières heures, et cela ne tarderait pas à devenir de la neige. L'hiver arrivait à grands pas. Et avec lui, les fêtes de fin d'année. La famille. Sa famille. Mike détourna le regard à cette pensée, sentant l'émotion qui pouvait déborder à tout moment. 

Le plateau vide n'attendait plus que l'actrice, la pétillante Margareth, qui brillait en ces lieux depuis deux saisons à présent. Sa bonne humeur et son sens de l'humour en faisaient un symbole de la quinquagénaire américaine parfaite. Qui se faisait attendre... 

Klong, klong, klong. Le bruit des talons sur le sol. Le sourire sur les lèvres. Elle s'assoit et prend la pose, puis l'accessoire, un vieux livre romantique. Margareth. Quel bout de femme ! Alors Mike empoigne sa perche, et avec soin, la place au-dessus du décor. Amstrong se tait. La pluie se transforme en neige. Fin de la pause.


Ce texte a été écrit et également publié pour le site Bric à Book. La photo est de (c)  Austrian National Library. 

jeudi 9 janvier 2020

Le Ghetto Intérieur de Santiago Amigorena

Auteur : Santiago H. Amigorena

Maison d'édition : Editions P.O.L

Nombre de pages : 192 pages

Année de sortie : 2019



Buenos-Aires, 1940. Des amis juifs, exilés, se retrouvent au café. Une question : que se passe-t-il dans cette Europe qu’ils ont fuie en bateau quelques années plus tôt ? Difficile d’interpréter les rares nouvelles. Vicente Rosenberg est l’un d’entre eux, il a épousé Rosita en Argentine. Ils auront trois enfants. Mais Vicente pense surtout à sa mère qui est restée en Pologne, à Varsovie. Que devient-elle ? Elle lui écrit une dizaine de lettres auxquelles il ne répond pas toujours. Dans l’une d’elles, il peut lire : « Tu as peut-être entendu parler du grand mur que les Allemands ont construit. Heureusement la rue Sienna est restée à l’intérieur, ce qui est une chance, car sinon on aurait été obligés de déménager. » Ce sera le ghetto de Varsovie. Elle mourra déportée dans le camp de Treblinka II. C’était l’arrière-grand-mère de l’auteur.




La seconde guerre mondiale : thème important et récurrent dans la littérature, aussi bien pour la description des atrocités du conflit et en soi mais aussi les horreurs de la Shoah. Une approche ici différente : les victimes extérieures au continent, préjudice plutôt moral que physique, tout aussi douloureux, voire pire encore. Beaucoup d'émotions à prévoir, mais aussi une forme nouvelle de témoignage rare. Voici, concrètement, ce que l'on pourrait attendre du Ghetto Intérieur d'Amigorena. Un roman fort, qui vaut le détour.





"J'ai souvent écrit que l'oubli était plus important que la mémoire. J'ai souvent songé, comme Pasolini, que celui qui oublie jouit plus que celui qui se souvient."


Ça faisait un petit moment que je n'avais pas lu de romans à propos de la deuxième guerre mondiale, conflit le plus meurtrier de l'Histoire durant lesquels ont été commis les pires atrocités. Sans aucun doute par manque d'envie, j'ai toujours été très sensible aux horreurs commises, et je sortais souvent déprimé, un peu perdu de ces lectures difficiles, mais que je juge aussi nécessaires. Cette participation au Goncourt fût donc l'occasion pour moi d'y replonger, et ce durablement (4 oeuvres sur 14 lectures), à commencer par cette oeuvre, dont l'approche du conflit est complètement différente, et c'est avant tout pour cela que j'ai choisi de la découvrir assez vite. 


"S'éloigner de sa mère, en 1928, l'avait tellement soulagé - être loin d'elle, aujourd'hui, le torturait tellement."


Amigorena nous plonge, d'un point de vue omniscient et à la troisième personne, dans le tête de Vicente, juif exilé en Argentine mais dont la mère est resté en Pologne, où la machine nazie met en place ses engrenages infernaux. Très vite, avec une écriture fluide mais réaliste et détaillée, on découvre cet homme (qui se révèlera être le grand-père de l'auteur dans l'épilogue) en apparence sympathique et sociable, que l'on suit dans sa vie de tous les jours, auprès de ses amis, de sa famille et dans son travail. Il devient familier, comme si on s'habituait à sa présence dans le récit Après lecture, c'est un aspect très troublant qui ressort de ce roman : le lecteur ne connaît pas, et ne connaîtra jamais réellement Vicente. Bien qu'on le côtoie absolument durant la totalité du récit, dans une relation presque exclusive, lié au silence qu'il impose progressivement à ses proches, nous restons dans un brouillard presque suspect, qui nous tient à distance de Vicente. C'est une brume progressive, qui se développe petit à petit, notamment dans la seconde partie de l'oeuvre. En effet, l'on pourrait découper le roman en deux parties, qui se complètent et s'entrecroisent. La première met en scène Vicente qui parle, intéragit, si l'on peut dire, avec ses proches, alors que la seconde propose l'enfermement progressif, le repli intérieur du personnage sur lui-même. C'est un acte très dur à juger, que l'on ne peut sans aucun doute pas comprendre, et qui reste mystérieux. On a presque de la compassion pour ce personnage définitivement à part. Rarement quelqu'un ne m'aura autant touché, sans pour autant montrer quelque émotion. C'est vraiment de cette façon qu'il m'a touché, et que j'en garde un souvenir intarissable. Il est de ces personnages marquants, non pas pour une identification quelconque, mais pour la force qu'il dégage, et les émotions, avant tout


"Comme tous les juifs, Vicente avait pensé qu'il était beaucoup de choses jusqu'à ce que les nazis lui démontrent que ce qui le définissait était une seule chose : être juif."


'Le Ghetto Intérieur' est une oeuvre peu emplie par l'action, en apparence. En réalité, paradoxalement au titre, le lecteur plonge dans des émotions, non pas celles du personnage, qui dresse des murs entre lui-même et l'extérieur, comme l'indique le titre, mais plutôt face à celles qui lui sont propres. Ce qui est absolument incroyable avec cet ouvrage, c'est cette capacité à décupler les sentiments qui devraient être ceux de Vincente, comme la tristesse ou la douleur quand il reçoit une lettre de sa mère, ou encore la frustration et la colère lorsqu'il se trouve face au silence polonais, chose qu'il ne montre absolument, en se recroquevillant sur lui-même. Toutefois, tout cela se répercute sur le lecteur, qui lui prend en pleine face la dure réalité décrite, en lien avec un contexte historique et une situation familiale atroce. C'est ainsi que cette lecture devient progressivement un roman coup de poing, là où l'auteur n'exprime selon lui qu'un besoin absolument de coucher sur papier une histoire familiale trop longtemps passée sous silence. De plus, le texte engendre énormément de questionnements, autour de la guerre, puisqu'il est nécessaire de restituer dans le temps les événements historiques cités, qui ne prennent d'ailleurs pas trop de place dans le récit, ce qui ne le rend pas trop lourd ou ennuyeux, d'un point de vue purement historique, mais aussi à propos du personnage. Malgré tout, même si l'on sait qu'il va être impossible ou quasiment de comprendre Vicente, nous nous mettons à la place de ses proches, on essaie de saisir la portée de l'acte, la raison pure et simple de la création de ce ghetto intérieur, on s'interroge sur la stratégie adoptée par le père de famille, sur ce silence auquel il tient plus que ses enfants, ou presque. C'est un sacrifice véritable qui est évoqué ici, et c'est ce qui dérange et interroge. C'est ce qui fait entrer cette oeuvre dans les mémoires, et ce qui la rend également nécessaire et importante aujourd'hui, si l'on désire comprendre en profondeur l'étendue du conflit. 


"Se taire. Oui, se taire. Ne plus savoir ce que parler veut dire. Ce que dire veut dire. Ce qu'un mot désigne, ce qu'un nom nomme. Oublier que les mots, parfois, forment des phrases."


Pour schématiser et narrer cette histoire, que l'on sent presque devenir un fardeau pour l'auteur, aussi bien lorsqu'on l'interroge à propos de son livre ou lorsqu'on découvre ce pan familiale, l'écriture occupe une place primordiale, aussi bien pour doser les émotions, pour décrire le personnage sans en dire trop, pour détailler ou simplement évoquer la situation en Europe à cette époque. Santiago Amigorena s'en sort très bien, car il touche le personnage, même si on peut s'interroger si tel est réellement son but : N'écrit-il par ce roman par purgation ? Telle est une question légitime. Toutefois, si l'ensemble peut pencher pour une réponse négative, il me semble important de faire remarquer que la seconde moitié du texte, qui parle donc de silence, tourne quelque peu en rond. Si certains, je n'en doute pas, seront touchés et plongés dans cette languissante description de l'enfermement de Vicente, j'ai pour ma part quelques réserves. J'ai eu la sensation, et cela tend à se conforter plusieurs semaines après la fin de ma lecture, que ce passage, où le silence est décrit sous toutes ses formes et dans toutes ses déclinaisons, que sa lourdeur, car il s'agit bien de cela, est évoqué, que c'était trop. L'ouvrage en devient définitivement marquant, mais prend là une tournure pesante, où l'histoire reste en tête, on s'interroge, on se sent quelque peu absurde, et perdu. En ce sens, je crois qu'il n'est pas destiné à tout public, et qu'il mérite une relecture, car l'influence de notre niveau de maturité dans notre compréhension de l'oeuvre, est saisissante. Peut-être ainsi l'écriture d'Amigorena démontre que cet ouvrage est avant tout pour lui et pour les personnes qui peuvent comprendre ce drame absolu qu'est la Shoah, et la souffrance qu'elle incarne, mentale comme physique. 








C'est un récit, un témoignage mystérieux, comme son personnage, qui nous est proposé ici. Le texte est saisissant, rongé par des émotions fortes, qui marque définitivement quelconque lecteur, influencé par l'âge et le niveau de sensibilité. Amigorena démontre toute la force de sa plume et celle de sa narration, pour sans doute se purger de cette histoire douloureuse. Un roman malheureusement original dans l'approche, qui démontre l'universalité de la Shoah. A lire, si l'on a le coeur et les sentiments accrochés.