samedi 8 février 2020

Roman atmosphérique : Un monde sans rivage d'Hélène Gaudy

Auteur : Hélène Gaudy 

Maison d'édition : Actes Sud édition

Année de sortie : 2019

Nombre de pages : 256 pages





 À l’été 1930, sur l’île Blanche, la plus reculée de l’archipel du Svalbard, une exceptionnelle fonte des glaces dévoile des corps et les restes d’un campement de fortune. Ainsi se résout un mystère en suspens depuis trente-trois ans : en 1897, Salomon August Andrée, Knut Frænkel et Nils Strindberg s’élevaient dans les airs, déterminés à atteindre le pôle Nord en ballon – et disparaissaient. Parmi les vestiges, on exhume des rouleaux de pellicule abîmés qui vont miraculeusement devenir des images.
À partir de ces photographies au noir et blanc lunaire et du journal de bord de l’expédition, Hélène Gaudy imagine la grande aventure d’un envol et d’une errance. Ces trois hommes seuls sur la banquise, très moyennement préparés, ballottés par un paysage mobile, tenaillés jusqu’à l’absurde par la joie de la découverte et l’ambition de la postérité, incarnent l’insatiable curiosité humaine qui pousse à parcourir, décrire, circonscrire et finalement rétrécir le monde. Livre d’une richesse inépuisable, aussi poétique que passionnant, Un monde sans rivage propose un voyage opiniâtre dans les étendues blanches du Grand Nord, un périple à travers le temps en compagnie de ces trois explorateurs et de bien d’autres intrépides, une méditation sur l’effacement et une déclaration d’amour à la photographie dans ses deux mouvements d’aval et d’amont : fixer les souvenirs et réactiver perpétuellement la machine à rêves.






Roman qui m'avait tapé dans l'oeil lors de l'annonce de la sélection Goncourt, le texte d'Hélène Gaudy, de part un résumé et une couverture alléchante, promettait un voyage empli des paysages arctiques et d'émotions. J'ai eu droit aux deux, sous un aspect innatendu, et j'en reste quelque peu mitigé. 





"Ils sont seuls à présent. Loin des regards et des hourras, sans plus de témoins à part, bientôt, l'oeil de l'appareil photo, et on aura beau tenter de remplir les vides, tout ce qui lui échappera demeurera ce qui leur appartient."


 C'est un roman totalement imaginé que nous propose Hélène Gaudy (bien Victor, on est très avancé là). Ce que je veux dire par là, c'est que l'auteur, s'inspire, comme indiqué sur la quatrième de couverture, de photographies très anciennes pour développer les personnages de son texte et toute l'intrigue qui l'entoure. Si vous êtes un lecteur attentif de mon blog, vous comprendrez aisément que cette façon d'écrire me parle particulièrement, étant donné que le croisement de ces deux arts peut selon moi être le départ d'une créativité gigantesque. Toutefois, on comprend dès le début que les personnages, à savoir les trois explorateurs, seront complètement inventés psychologiquement par l'auteur, qui leur prête une personnalité propre à chacun, en basant sur des documents retrouvés ou collectés, et des témoignages diverses. Je reviendrais sur eux par la suite. Le texte est emprunt d'une atmosphère qui englobe la totalité de la lecture, quelque chose de glaciale, qui prend l'esprit et le coeur. J'ai souvent eu la sensation d'accompagner ces trois personnes sur la banquise, malgré l'encrage dans le temps évident, de part les techniques utilisées par les protagonistes (le ballon, la photographie...). D'un point de vue général, j'ai souvent ressenti ce besoin de retour en arrière de la part de l'auteur, c'est une chose importante que de préciser l'époque de laquelle date cette expédition, pour qu'on se rende bien compte de la folie de l'aventure. C'est ce qui m'a plu, le retour en arrière, ce petit bond dans le passé qui est très bien décrit, très bien réalisé par la romancière. En revanche, j'ai souvent été perdu par l'accumulation des histoires dans l'histoire. En effet, Hélène Gaudy propose, pour étoffer le glorieux de cette tragique escapade au Pôle Nord, le récit d'autres expéditions ayant plus ou moins mal tournés, que ce soit par des personnes comme Salomon, Knut et Nils ou alors par des navires préparés durant des longs mois à subir les aléas climatiques. Bien que sympathique pour le point de culture et d'Histoire proposé, ces digressions ne m'ont pas vraiment touché, et desservent plutôt le récit, au lieu de maintenir la fluide progression des trois protagonistes, qui aurait selon moi pris une autre dimension si l'on s'était uniquement concentré dessus. Ainsi, le discours général de l'oeuvre reste en demi teinte pour moi. 


"La température la plus basse serait, théoriquement, le zéro absolu, mais il est impossible de l'atteindre. Le froid absolu n'existe pas. Il n'a pas de limite, pas de frontière, ils l'éprouvent tous les jours." 


Les personnages me confortent dans cette idée que l'oeuvre est bonne, mais loin d'être exceptionnelle. En effet, si Nils est développé à souhait, allant même jusqu'à obtenir le point de vue de sa petite amie avant son départ, les deux autres explorateurs sont un peu laissés de côté. Sans exagérer, puisque l'on obtient tout de même quelques renseignements généraux sur leur personnalité, leurs intérêts dans cette histoire et leurs sentiments pendant la traversée du grand Nord, mais l'on reste tout de même vraiment en surface. Ainsi, ils sont de bonne compagnie, et deviennent sympathiques pour le lecteur, mais l'on reste loin d'un grand attachement qui ferait verser une larme lorsque l'on termine l'oeuvre, et encore plus loin d'une potentielle identification. Nils, même si l'attachement est plus profond, n'échappe pas à cette règle. D'un point de vue générale, c'est également ce que peut reprocher à l'oeuvre : c'est sans doute moi et mon jeune âge, mais je suis vraiment resté en surface avec ces personnages, toujours en essayant d'entrer dans leur coeur et donc par la même occasion dans le coeur de l'oeuvre, mais je n'ai jamais vraiment réussi à y plonger totalement. C'est sans doute l'un des facteurs qui fait que je suis globalement déçu de ma lecture, malgré un temps passé dans l'oeuvre d'à peine quelques heures, que je n'ai pas vu passer, grâce au gros plus du texte : l'écriture. 


"Mais s'il n'y a plus de chaleur, que devient le froid ? Peut-on encore l'identifier ? Ici, le froid, comme le temps, n'a plus de bords. Peu de gens ont une idée de ce froid-là. C'est un secret qu'ils gardent, qu'on ne peut leur enlever."


En effet, comme spécifié plus haut, le roman de Gaudy est emprunt d'une atmosphère froide, voire glaciale. Les décors, les outils, la progression du récit, tout cela est très détaillé, même lors des nombreuses digressions, qui sont elles aussi restituées et décrites en détail. Si la sauce ne prend définitivement pas avec aucun des personnages présentés, le lecteur plonge en piqué et tête la première dans les landes glacées de l'arctique, en faisant les yeux ronds devant la dureté climatique, devant l'acharnement des personnages à avancer et à évoluer dans ces terres hostiles et arides du grand Nord. Voici peut-être ce que l'on ressent le plus pour ces protagonistes durant la quasi totalité de l'oeuvre : de la pitié. Qu'il s'agisse de la situation dans laquelle ils se trouvent, ou encore pour Nils de la pitié car nous avons en tant que lecteur le point de vue de sa petite amie durant les premiers chapitres de l'oeuvre, qui cherche encore des réponses sur le sort de son amour perdu. Combiné au paysage dénudé d'originalité et même d'émotions, on peut ainsi voir une atmosphère relativement triste embaumer le roman, sentiment qui reste d'ailleurs plusieurs jours après la fin de cette lecture. En cela, Un monde sans rivage est resté pour moi une lecteur assez marquante, qui, que ce soit dans son procédé, dans sa construction et dans ce qu'elle dégage, m'a véritablement sortie de ma zone de confort. Moi qui ait pour habitude de lire et de vous présenter de nombreux ouvrages feel-good, ou des drames, certes, mais qui se terminent souvent sur une pointe de joie, il n'y a chez Gaudy, même si cela n'était peut-être pas son souhait à la base, une notion de fatalité qui hante le récit et qui reste en mémoire après coup, et que l'on trouve notamment par cette plume si particulière. Celle-ci est très fine, pointue, on sent dans les moments descriptifs que les mots ont été soigneusement sélectionnés dans un soucis frappant du détail et de la justesse. Même sans accrocher totalement, le texte reste abordable et surtout agréable à la lecture de tous. C'est ce cocktail qui, pour sûr, nous vous laissera pas indemne, peu importe l'âge ou la situation dans laquelle vous découvrez l'oeuvre : association d'une plume affûtée pour un récit relativement difficile. Une marque au fer (blanc) assurée. 








C'est un peu mitigé, mais fortement ébloui que je ressors de cette deuxième lecture Goncourt. Un roman descriptif, prometteur mais qui m'a laissé perplexe face aux digressions historiques et à ses personnages qui n'ont pas su me toucher. L'écriture est en revanche un coup de poing en pleine figure, tout comme l'atmosphère travaillée remarquablement. Une oeuvre recommandable selon envie du moment !

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