lundi 24 février 2020

Roman mystérieux et atmosphérique : Un dimanche à Ville-d'Avray de Dominique Barbéris


Auteur : Dominique Barbéris

Maison d'édition : Arléa

Collection : La rencontre

Nombre de pages : 125 pages

Année de sortie : 2019





Deux sœurs se retrouvent, alors que fléchit la lumière, dans un pavillon de Ville-d’Avray, avec chacune dans le cœur les rêves et les terreurs de l’enfance, le besoin insatiable de romanesque, de landes sauvages dignes de Jane Eyre et d’un amour fou, tout cela enfoui dans le secret d’une vie sage.
L’une se confie à l’autre. Lui raconte une invraisemblable rencontre dans le décor en apparence paisible de Ville-d’Avray, de ses rues provinciales. L’autre découvre, stupéfaite, son errance entre les bois de Fausse-Repose, les étangs de Corot, les gares de banlieue et les dangers frôlés...





 Une lecture différente. Complètement différente. C'est en tout cas ce à quoi me faisait penser cette couverture mystérieuse, toute de grise vêtue, et ce titre évocateur, écho à un célèbre film français des années 60. De plus, le court résumé, évocateur sans trop l'être, ne fit que me diriger d'autant plus vers cette oeuvre que je devinais singulière. Et qui le fût, nouvelle lecture du Goncourt, pour sûr. 






"L'autre dimanche, je suis allée voir ma soeur."


Le texte, écrit par Dominique Barbéris  (qui est, soit-dit en passant, une personne très sympathique) est un texte d'ambiance. On ne parle pas ici d'une ambiance douceâtre, festive comme l'on pourrait trouver dans une oeuvre abordant le thème des vacances ou de l'aventure amoureuse, ou alors d'une ambiance de tristesse absolue que l'on peut dénicher dans un livre ayant pour thème la maladie ou la mort, mais il s'agit bel et bien ici d'une ambiance sombre, oppressante, mystérieuse, étrangère, presque mystique. C'est une notion que résume très bien la couverture, nouvel écho à l'oeuvre cinématographique, que l'on distingue mal à première vue, avec un léger effet de flou sur la silhouette de l'Homme au parapluie.



"Qui nous connaît vraiment ? Nous disons si peu de choses, et nous mentons presque sur tout. Qui sait la vérité ? Ma sœur m'avait-elle vraiment dit la vérité ? Qui le saura ? Qui se souviendra de nous ?"



 Dominque Barbéris résume d'autant plus son oeuvre à l'intitulé, puisque le cadre spatial et temporel de l'Histoire s'y retrouve : un dimanche pour un récit effectué à Ville d'Avray et qui a pour lieux Ville d'Avray . Une fois ces quelques bases posées, nous y voici. De façon générale, le texte ne bouge pas beaucoup. On suit d'une façon langoureuse, presque hypnotique, le récit de Claire Marie, qui stupéfait sa soeur et le lecteur de part l'histoire et ses rebondissements inattendus qu'elle présente. Tantôt inquiétant, tantôt empli d'une tension presque lascive, je n'ai jamais vraiment su à quoi m'attendre en tournant chaque page du roman. J'étais comme plongé dans une piscine sombre, tiède, ou défilait des images en noir et blanc, en contre plongé. J'ai d'ailleurs mis beaucoup de temps avant de pouvoir poser des mots sur cette oeuvre, que ce soit pour vous en parler à vous, mais aussi pour en parler avec mes proches. C'est d'ailleurs un phénomène que j'ai retrouvé chez quelques amis participant à ce Goncourt, à savoir cette incapacité à mettre des mots sur ce qui nous traverse pendant cette lecture. Toutefois, c'est ce qui m'a vraiment plu. Je n'avais presque jamais trouvé un tel sentiment, aussi complexe et aussi pur à la fois. Je me suis senti comme dans un film un peu dérangeant, controversé, avec une texture d'image et des personnages vraiment particuliers. Je me suis trouvé pris là dedans, et je n'ai su m'en détacher qu'au bout des 125 pages, en quelques heures de lecture à peine. C'est pourquoi, selon moi, il s'agit d'une lecture vraiment particulière, mais qui peut sans doute en décevoir certain, pour son inaction et sa longueur illusoire. La question véritable que l'on se pose : Qu'est ce que nous a apporté ce texte ? Rien. Mais j'ai pris mon pied, comme l'on dirait vulgairement. Si cette description ne vous sied, passez votre chemin. Sinon, bienvenue à ceux désirant une ambiance unique, une lecture contemporaine, en somme. 



"Son histoire commençait de la façon la plus banale." 




Pour accentuer cette atmosphère déjà finement travaillée, on trouve sur notre chemin des personnages si particuliers, eux aussi. Ces derniers partent de stéréotypes très actuels, à savoir par exemple la femme peu heureuse dans son couple ou dans sa vie actuelle, qui cherche à s'émanciper de toutes les manières possibles, par le rêve ou dans la réalité, mais aussi la soeur qui elle, est encrée dans un quotidien qui la dérange un peu, mais sans qu'elle ose sauter le pas, sans oublier le médecin absent ou le mari trop sûr de lui. Au début, le lecteur peut avoir du mal avec ces profils, qui peuvent passer pour manquer de profondeur. Mais rapidement, on sent qu'il y a quelque chose en plus. Ces personnages, et particulièrement ces deux soeurs si intimes pour le lecteur mais si mystérieuse pour l'une et l'autre, deviennent l'incarnation de la société actuelle, ou du moins d'une des visions les plus répandues : le savant mélange entre l'absurde de la vie, ou comment se sentir étranger à soi, et la volonté innée et inéluctable de se battre pour la vie et pour croire en ses rêves. C'est un peu compliqué à saisir dans les premiers chapitres, mais tout devient limpide par la suite. On voit ainsi Marie Claire raconter avec frénésie cette aventure, combiné à ses ellipses qui démontrent le dur retour à la réalité du dimanche soir, où tout est fini. C'est un changement complet d'ambiance et de mentalité, pour elles comme pour nous. Peut-on croire en ses rêves ? C'est un peu l'interrogation que reflètent ces protagonistes. A noter que la différence d'âge entre elles et un lecteur dit plus jeune (17 ans pour ma part au moment de la lecture) ne dérange absolument pas, si encore une fois la lecture recherchée correspond au contenu proposé par Barbéris. 


"Dans les quartiers que je traversais, certaines maisons restaient fermées,- preuve que leurs propriétaires n'étaient pas rentrés-, mais il y avait des fleurs dans les jardins. Des fleurs qui fleurissaient toutes seules dans ces jardins inoccupés."


J'ai eu l'occasion de discuter avec la romancière à Paris, lors des rencontres nationales du prix Goncourt. Si évidemment le film de 62 trouve un fort écho dans l'oeuvre, c'est avant tout pour l'ambiance que le long métrage transmet, et dont s'est inspirée Dominique Barbéris (qu'elle me corrige si jamais je me trompe dans mes propos). Je n'ai malheureusement jamais vu cette oeuvre majeure du cinéma français, bien qu'on me l'ait recommandée à de nombreuses reprises. Et son visionnage ne fait aucun doute pour ma part, tant l'ambiance du livre a trouvé en moi un récepteur formidable. En effet, j'ai trouvé cette plume d'une justesse folle. Les descriptions ne sont pas trop longues, la narration de la soeur se trouve coupée au bon moment, tout comme les retours au présent, qui sont savamment disséminés dans la totalité de l'oeuvre. Le suspens est aussi maîtrisé, de sorte que la lecture offre tantôt quelque battement de coeur supplémentaire, qui s'apaise et reprend à intervalle régulier. Ce qui a pour conséquence une lecture très rapide et très marquante, vous vous en doutez. Je ne reviendrai par sur l'ambiance indescriptible, évoquée plus haut, dont on ressent toute la justesse dans le choix des mots et des tournures de phrases. Comme l'on pourrait dire en cuisine : ce fût ni trop, ni pas assez. Juste pour devenir un roman excellent et recommandable. Une surprise de plume qui place Barbéris sur le haut de la liste des 
auteurs à découvrir. 




Une lecture au début hasardeuse, qui a su être prise par le bon bout, pour offrir un moment de plaisir intense, avec des personnages et une plume juste, qui racontent tout deux une histoire sociale et ambitieuse. Inattendue lecture, Un dimanche à Ville d'Avray est une recommandation forte de ma part. Pour lecteur averti, évidemment.

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