lundi 3 avril 2017

Atelier d'écriture n°261 : Dream


Andréa ouvre les yeux. Lentement. Très lentement. Tout n'est qu'ombre et blancheur autour de lui. Ses yeux vitreux, d'un vert livide, tournent autour dans leurs orbites, l'air perdu. Il est attaché. Premier constat. Il inspire un grand coup. Il ignore ce qu’il fait là, tapi dans l'ombre d'une pièce inconnue. Ses yeux se posent sur cette paire de jambes, postée devant lui. Sa position lui permet à peine de distinguer les chaussures à talon, occupées par des pieds fins, et les jambes qui s'en échappent. Pas de voix. Rien. Le jeune homme tente de lever les yeux. Impossible. Il s’époumone, hurle, se débat. Rien. Aucune réaction. L'impression que personne ne l'entend, ne le comprend. Un grand vide l'envahit. Alors il panique. Pourquoi est-il là ? Qu'a-t-il fait ? Comment a-t-il pu se retrouver ici ? Et par-dessus tout : Où est Richard ? Il faut qu'il le trouve. Il recommence alors à se débattre. Il détruit ses liens à en s'en faire saigner chevilles et poignets. La paire de jambes n'a toujours pas bougé. C'est alors qu'une chose se produit. Un grondement se fait entendre. Andréa, libre, se relève. Face à la femme à la paire de jambes fines. Son visage est... normal. Il en aurait attendu quelque chose de surprenant, presque de dérangeant. Mais très vite, les yeux de la dame le fixent. Ils accrochent son propre regard. Pour ne plus le lâcher du tout. Ils s'ouvrent en grand, très grand, trop grand. On dirait qu'ils veulent avaler le garçon tout entier. Un cri retentit. Le bleu des yeux hypnotisants de la femme avalent Andréa.
*****
Andréa est couché dans le sable blanc d'une dune. En contrebas, les vagues lèchent doucement les petites graines pâles qui se laisseraient volontairement attraper par la force tranquille de l'océan. Aux alentours, tout est paisible. Le jeune homme se relève, hagard. Le mégot et la bouteille toujours posés à ses côtés, il se rend compte qu’il s'est endormi. Et qu'il a évité le coma éthylique de très peu. Les feuilles de papiers sont éparpillées autour de lui, colombes de bonheur après l'enfer qu’il vient inconsciemment de traverser. Andréa sourit, puis récupère chacune des pages, se rendant compte de l'importance de ces parchemins et relisant l'écriture fine couchée sur le papier. Il cale rapidement chacun des feuillets sous son bras, puis se roule une nouvelle cigarette, et regarde l'horizon. Ses pensées reprennent peu à peu leur cours. Bientôt, elles prennent le dessus sur tout. Sur le monde. Alors Andréa parle, interprète son rêve, se livre à cette dune, et ces milliards de petits graines, et cette infinité de gouttes salées. Ses lèvres se dénouent, il s'exprime enfin.
" C'est donc ici que mon périple s'achève. Pourquoi pas ?" Il s'arrête un instant, tire une taffe sur sa clope, et reprend. "Tous ces mois à marcher, à rencontrer des gens, à parler, à se taire, à se défouler, à se calmer, à tenter d'écrire des mots qui ne viennent pas, à boire, à fumer, à crier à en perdre la voix, à composer, à aimer, à haïr, à s'amuser, à se retrouver. Tout ça pour ça. Pour une plage, loin de tout, un sac, un paquet de cigarettes dans la poche, de l'alcool, mon stylo, mes feuilles, un rêve bizarre." Il s'arrête à nouveau. Relit lentement toutes les lignes écrites, comptent. Il regarde la lune, le ciel foncé piqueté des points lumineux, la mer et ses remous blancs. Il guette chaque son provenant des alentours. Le bruit entêtant de l'océan le berce. Il se lève, fais quelques pas, tape dans un mur invisible constitué de toute sa rancoeur et sa haine, compte ses pas dans le sable, décide finalement de se rassoir. Andréa relit encore une fois ses compositions. Compte chaque feuilles, chaque phrase, chaque syllabe, chaque lettre. Il s'allonge ensuite dans le doux sable, et, dans la douce caresse du vent sur son visage, reprend finalement sa réflexion.
"Tout ce que j'ai écrit ce soir est nul. Il n'y a rien. Rien de vrai. Rien de faux. Si je reviens avec ça, je n'ai pu qu'à me tirer une balle. Toutes ces lignes sentent la haine, la rancoeur, la superficialité, l'argent, la commercialité. J'étais défoncé en les écrivant. Ca se voit. Tout cela ne me ressemble pas. Mais après tout... Qu'est-ce qui me ressemble vraiment ?"
Une larme coule sur sa joue. Il l'essuie d'une revers de main. Son esprit dérive sur ce rêve étrange. Il philosophe, pense, réfléchit, se pose des questions. Comme à chaque fois qu'il pense, d'ailleurs. Il s'en rend compte à présent. Il se pose toujours des questions.
"Je me suis arrêté de vivre. Tout le monde attend mon retour là-bas. Tous attendent le retour du roi de la musique urbaine. Tous attendent ce putain de nouvel album. J'y pense. Ne vous inquiétez pas. Je pense à cet album. Pourtant, rien ne me convient. Serais-ce la fin de cette aventure qu'est la musique ? C'est impossible..."
Une nouvelle larme coule le long de sa joue. Il la laisse s'écraser dans le sable, cette fois. ll songe au suicide, pour avoir déçu sa famille, qui l'attend, ses fans, qui veulent l'entendre à nouveau. Il pense à tous ses concerts, à toutes ses interviews, à toutes ses prises de tête. Sans se poser de question. Un simple retour en arrière, pour une fois. Pour la première fois.
"Ce rêve était un symbole. Les liens à trancher pour écrire ce nouvel album. Ce nouveau classique. La femme à atteindre, les jambes à remonter pour voir le visage du succès et de la libération. Il faut que je raconte ce rêve, il faut que je me raconte. Voilà tout. Comme avant, écrire pour moi. Pas pour les autres."
Alors, avec le briquet, il brûle les feuillets devenus inutiles. Il récupère son stylo, quelques feuilles, et, avec sa plume raffutée et raffinée, il se raconte. Comme avant. Il écrira jusqu'à l'aube. Si bien qu'il s'endormira, les feuilles une nouvelle fois éparpillées autour de lui. Une femme passera sur cette plage ce matin-là, et attirée par ce corps immobile, s'approchera. Elle réunira les feuille sous la main d'Andréa et repartira, sans un mot. Neuf mois plus tard, comme un bébé dont on accouche, son nouvel album sort sous un simple nom : "Dream".

Ce texte a été écrit pour l'atelier d'écriture de Leiloona. La photo a l'air libre de droit (si quelqu'un peut m'indiquer l'auteur).

3 commentaires:

  1. bonjour Victor-
    je suis retournée sur son site pas de nom pour la photo-
    un long récit- bravo !
    Bisous- bonne semaine-

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  2. Bonsoir,
    Un texte qui nous emporte dans son monde, c'est un peu l'encre qui dépose les mots, superbe, j'avais l'impression d'être à ses côtés dans un monde parallèle où il ne nous voit pas.
    Bonen soirée
    @ plus

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  3. Un texte aux idées sombres mais bien mené. Je l'aurais peut être un peu resserré. Au début je pensais que ton texte était la suite de celui de Manue avec les ressentis du pauvre homme pris au piège. Bravo pour ton texte ! Nady

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